L'importance d'organiser le débat

Nous sommes heureux d'arriver au 12e numéro de la revue Encartes, qui est devenue un espace de discussion. Le dossier principal Coloquios s'articule autour d'un essai central de David Lehmann dans lequel il critique et remet en question les discours et les positions décoloniales des chercheurs en sciences sociales latino-américains. Après avoir lu son livre : Après la décolonisation : ethnicité, genre et justice sociale en Amérique latine (2022), récemment publié en anglais, nous avons décidé de l'inviter à participer avec un essai en espagnol qui inclurait ses principaux arguments sur le sujet, et qui serait ouvert au dialogue et à la critique constructive des chercheurs latino-américains. Gustavo Lins Ribeiro affirme qu'"il n'y a pas de théorie qui soit hors de portée de la critique" et c'est ce que nous avons l'intention de faire dans EncartesNous apprécions la critique honnête et ouverte que le dialogue propose comme une dynamique qui permet de reconnaître la richesse des diverses contributions et de renforcer ainsi l'exercice permanent de révision et de réflexion sur la pensée de l'auteur. C'est pourquoi nous espérons que le débat sera constructif afin d'oxygéner le sens critique dont les sciences sociales ont continuellement besoin. Par ailleurs, la prise de conscience actuelle de la division politique du savoir académique dessinée par les pôles Nord-Sud a été importante pour que les Latino-Américains revoient leur condition de producteurs de données et non de théories universelles ; sortir de la provincialisation du savoir exige de créer des vecteurs d'échange et de débat entre les académies du Nord et du Sud, car l'isolement ne sert qu'à renforcer les inégalités conceptuelles.

Dans ce dossier du colloque, Gustavo Lins Ribeiro, Regina Martínez Casas, Eduardo Zárate, Edgar Esquit et Santiago Bastos participent avec des essais qui montrent la diversité des appropriations et des utilisations des épistémologies décoloniales pour aborder et renverser les inégalités sociales. Les cinq auteurs prennent au sérieux la lecture de l'autre et le défi du débat critique, mais offrent également des perspectives contextualisées et situées pour évaluer les contributions et les limites de l'exercice de décolonisation de la pensée académique et aborder les appropriations des acteurs et des mouvements sociaux en Amérique latine. Nous vous invitons à lire ces essais qui - comme le souligne Regina Martínez Casas dans son article - favorisent la réflexion.

Dans la section Discordances, modérée par Arturo Gutiérrez del Ángel, nous incluons un sujet qui vise à ouvrir le débat sur le "perspectivisme" afin de se demander s'il s'agit d'une théorie du point de vue de l'altérité. Deux chercheurs y participent : Gabriel Bourdin et Olivia Kindl, qui proposent deux positions différentes sur cette théorie qui reconnaît d'autres ontologies et qui a ébranlé l'anthropologie conventionnelle.

Deux articles paraissent dans Realidades : "Biografías en el cine de lo real de Werner Herzog. Discursos para recordar y pensar el presente", écrit par Fabiola Alcalá, et "Normalizando la revolución. Enseignants et étudiants de l'université Pueblo Guerrero", par Ana Lilia Nieto Camacho et Rafael Alarcón Medina.

Multimedia propose deux essais photographiques qui encouragent l'étude ethnographique des matérialités et des paysages urbains : "Dulces santos : las devociones a Cosme y Damián en Río de Janeiro, Brasil" - par Renata Menezes, Morena Freitas et Lucas Bártolo- et "La conciencia de ser mirados : dar vista al puesto de tianguis" - par Paola Garnica-.

Dans Entrevista, Mauricio Sánchez y Álvarez s'entretient avec Felipe Paz, anthropologue et documentariste colombien de renom qui a réalisé le moyen métrage Putchi Pu, disponible pour nos lecteurs. De son côté, Mario Rufer s'entretient avec La Negra (María Gabriela Lugones) sur les possibilités offertes par l'étude anthropologique pour établir des horizontalités dans les espaces étatiques où sont gérées les lois.

Nous incluons également trois critiques de livres récemment publiés qui, nous l'espérons, susciteront votre intérêt et vous inciteront à les lire : Religion, théories du complot et pandémies dans le sud du Mexique; Frantz Fanon, un homme sans masque et Paris au quotidien : un journal personnel et sociologique.

Enfin, nous invitons nos lecteurs à visiter notre galerie de photos virtuelle présentant une exposition collective intitulée "Identités hybrides : esthétiques identitaires alternatives et irruptives". Les photos sélectionnées nous permettent d'admirer les significations culturelles et politiques de l'hybridité à travers de multiples lentilles qui ont capturé le potentiel de la créativité esthétique pour générer des identités hybrides nouvelles et irruptives. Cette exposition photographique est le résultat d'une sélection des meilleures photographies reçues dans le cadre d'un concours public. Nous remercions sincèrement les photographes participants.

Nous espérons que la douzième édition de la Encartes suscitera des réflexions critiques et éclairées sur certaines questions qui font l'objet de controverses académiques et qui doivent être ouvertes au débat. Nous espérons également que son contenu vous invitera à lire les résultats de recherches sur divers sujets auxquels les sciences sociales ont beaucoup à apporter. Nous espérons que les interviews ouvriront des horizons sur les manières de faire des sciences humaines et leurs répercussions possibles. Enfin, nous espérons que les essais et les galeries visuelles contribueront à éduquer nos yeux à reconnaître que les photographies montrent l'apparent pour que nous puissions voir au-delà de l'évident.

Renée de la Torre
Directeur éditorial d'Encartes