Introduction

La mobilité et la migration sont des phénomènes inhérents à l'histoire de l'humanité, mais dans le contexte contemporain, elles se présentent avec une complexité et une diversité de dimensions qui défient souvent les capacités d'analyse des sciences sociales. Ces phénomènes répondent non seulement à des crises structurelles - telles que les inégalités socio-économiques et les conflits politiques - mais aussi à des processus tels que la mondialisation, le changement climatique et la technologisation des communications. Les migrations, considérées comme un processus à multiples facettes, englobent des aspects allant de l'économique et du politique au culturel, au religieux et au technologique, des éléments qui sont en interaction constante.

L'objectif principal de ce dossier est de contribuer à l'analyse critique des itinéraires, des expériences et des réseaux qui façonnent la mobilité migratoire dans la région. En particulier, il met l'accent sur l'intersection entre les frontières géographiques, entendues comme frontières étatiques mais aussi comme espaces d'interaction et de tension ; les technologies numériques, qui ont reconfiguré les stratégies et les récits des migrants ; les stratégies d'agence individuelle et collective qui émergent face à des contextes de vulnérabilité ; et les cadres structurels qui façonnent, restreignent ou facilitent les trajectoires migratoires.

Ce volume se concentre sur les couloirs migratoires qui traversent l'Amérique latine, avec un accent particulier sur les itinéraires qui relient la trouée du Darien à la frontière nord du Mexique. Ces routes, bien que reconnues pour leur dangerosité et la vulnérabilité qu'elles impliquent pour ceux qui les empruntent, sont aussi des scénarios de résilience, d'adaptation et de créativité. Les textes rassemblés ici examinent, dans une perspective interdisciplinaire, les processus de migration forcée et leurs implications en termes de droits de l'homme, d'économies émergentes et de réseaux de soutien transnationaux. En même temps, ils soulignent la pertinence de méthodologies innovantes telles que les enquêtes ethniques et les systèmes d'information géographique (sig), qui sont révélateurs des dynamiques migratoires contemporaines.

Le phénomène migratoire en Amérique latine est conditionné par une combinaison unique de facteurs qui interagissent de manière dynamique et complexe. Tout d'abord, la configuration géopolitique de la région - caractérisée par un réseau de frontières qui délimitent non seulement les espaces étatiques, mais fonctionnent également comme des zones d'échanges culturels et économiques - définit les trajectoires des migrants et les expériences qu'ils accumulent au cours de leurs déplacements. Ces frontières, plus que de simples lignes de démarcation, deviennent des espaces de tension et de négociation, où les migrants sont confrontés aux contrôles de l'État, mais où ils trouvent également soutien et solidarité.

Deuxièmement, les changements dans les politiques de migration et de sécurité, mis en œuvre dans les pays d'origine, de transit et de destination, ont considérablement modifié le paysage migratoire. Ces transformations, motivées par une combinaison d'intérêts politiques, économiques et sécuritaires, ont intensifié les risques associés aux déplacements, notamment l'exposition aux réseaux de traite, de violence et d'exploitation. Dans le même temps, ces politiques ont conduit à l'émergence de nouvelles routes migratoires, souvent plus dangereuses et moins visibles, et de stratégies que les migrants adoptent pour contourner les barrières imposées.

Enfin, l'émergence des technologies numériques et des médias sociaux a radicalement transformé la manière dont les migrants organisent, documentent et vivent leur voyage. Des plateformes telles que WhatsApp, Facebook et TikTok sont devenues des outils essentiels pour partager des informations, former des communautés virtuelles et coordonner les mouvements, redéfinissant ainsi les stratégies migratoires et élargissant les possibilités d'action individuelle et collective. Toutefois, cette "migration numérisée" s'accompagne également de nouveaux défis, tels que la surveillance, la désinformation et l'exploitation numérique, qui ont un impact direct sur la sécurité et le bien-être des migrants.

Ce dossier s'articule donc autour de six contributions qui reflètent l'ampleur et la profondeur des questions migratoires en Amérique latine. Le premier chapitre, "Del Tapón del Darién al de Tapachula" (Du bouchon du Darién au bouchon de Tapachula) d'América A. Navarro López et Alberto Hernández Hernández, analyse les nouvelles routes migratoires et les stratégies des migrants pour contourner les contrôles frontaliers ; il met en évidence la perception de Tapachula comme une "ville prison". Le deuxième chapitre, "Social media and digital platforms in the migration journey", écrit par Alberto Hernández Hernández, Carlos S. Ibarra et Arturo Fabián Jiménez, examine l'impact des technologies numériques sur l'organisation et la documentation des expériences migratoires, révélant à la fois les opportunités et les risques associés à la numérisation. Pour leur part, Abbdel Camargo et Iván Porraz, dans "Ethnographie de la route des migrants", offrent une analyse détaillée des "caminantes" qui voyagent le long de la route côtière au Chiapas, explorant les façons dont l'information et l'expérience accumulée façonnent les trajectoires migratoires. Dans le quatrième chapitre, intitulé "Devotions in transit", Blanca Mónica Marín Valadez aborde les expressions religieuses des migrants en tant que stratégies symboliques de résistance et de construction communautaire dans un contexte d'extrême vulnérabilité. Le chapitre suivant, "Processus migratoires et réseaux de refuge au Mexique", de Rafael Alonso Hernández, explore le rôle des organisations de la société civile dans l'offre d'espaces humanitaires et la construction de réseaux de soutien pour les populations migrantes en transit. Enfin, Jéssica Nájera, dans "Venezolanos en Costa Rica", utilise l'enquête ethnographique comme outil méthodologique pour explorer les expériences des migrants vénézuéliens à San José et pour souligner la complexité des ajustements familiaux et des réseaux sociaux dans le contexte migratoire.

Les résultats présentés dans ces textes font progresser les connaissances sur la migration et fournissent également une base solide pour la formulation de politiques publiques qui reconnaissent l'humanité et l'action des migrants. Cet effort d'intégration de perspectives interdisciplinaires et de données empiriques souligne la nécessité d'élargir les collaborations entre les chercheurs, les militants, les décideurs politiques et les communautés de migrants pour relever les défis et saisir les opportunités de ce phénomène mondial.

À un moment de l'histoire où la mobilité humaine est de plus en plus conditionnée par les crises climatiques, les inégalités socio-économiques et les technologies émergentes, il est essentiel de procéder à une analyse qui transcende les approches traditionnelles et donne un aperçu des possibilités d'un avenir plus équitable et plus humain.