La centralité des sens : le déplacement d'une personne aveugle dans le centre de Mexico1

Réception : 25 septembre 2019

Acceptation : 25 novembre 2019

Résumé

Le domaine des études sensorielles est encore un domaine académique en développement, mais les contributions d'un éventail de sciences sociales ont commencé à façonner un ensemble de connaissances pertinentes. Lorsque l'on considère la vie dans les villes comme une expérience sensorielle, plusieurs questions se posent quant à la prépondérance d'un sens sur les autres, ou quant à la manière dont les sens sont socialement structurés, et de là découlent des questions sur la différenciation de leur utilisation et de leur signification. Ce texte explore ce thème à partir d'un entretien approfondi et d'une promenade dans le centre de Mexico avec une personne aveugle. Ce témoignage met en évidence l'importance du monde sensible dans lequel ils évoluent. Les stratégies d'orientation, la mémoire sensible et l'élaboration de cartes mentales séquentielles sont cruciales pour le mouvement, tout comme les textures, les odeurs et les sons. On peut donc penser à l'existence d'un ordre sensoriel sur la base duquel se structurent les parcours et les interactions. La narration du mouvement est également importante dans la mesure où elle façonne l'expérience, la rend communicable et définit le narrateur.

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La centralité des sens : les déplacements d'un sujet aveugle dans le centre-ville de Mexico

Le domaine des études sensorielles est une discipline académique encore en cours de développement ; cependant, un certain nombre de contributions provenant de plusieurs sciences sociales ont commencé à configurer un ensemble de connaissances pertinentes. Lorsque nous imaginons la vie urbaine comme une expérience sensorielle, un certain nombre de questions se posent quant à la prépondérance d'un sens sur les autres, ou même quant à la manière dont les sens sont socialement structurés ; ces questions donnent lieu à leur tour à des interrogations sur la différenciation dans l'utilisation et la signification des sens. Le présent texte explore cette thématique à partir d'un entretien approfondi et de sorties avec une personne aveugle dans le centre-ville de Mexico. Ce témoignage nous fait découvrir l'importance du monde sensible dans lequel se déroulent les mouvements. Les stratégies d'orientation, la mémoire sensible et la création de cartes mentales séquentielles sont essentielles au mouvement, tout comme les textures, les odeurs et les sons. On peut donc croire à l'existence d'un ordre sensoriel sur lequel se structurent les sorties et les interactions. Les récits de déplacement sont également importants dans la mesure où ils donnent forme à l'expérience, la rendent communicable et définissent leur narrateur.

Mots clés : usages sociaux des sens, espace public, centralité urbaine, récits sociaux, distances physiques et sociales.


Introduction

Dans ce texte, nous cherchons à aborder le déplacement dans la ville du point de vue des études sensorielles ou sensibles. Il s'agit d'un domaine en développement dans les études sociales qui découle des préoccupations de diverses disciplines (sociologie, anthropologie, géographie humaine) pour aborder la manière dont le monde sensoriel, dans sa structuration et son organisation, fournit des éléments de compréhension de la relation entre les individus et le monde social.

L'exploration des déplacements et des atmosphères sensorielles est composée de deux parties. La première partie présentera des propositions significatives sur l'approche du monde sensoriel dans les sciences sociales, en soulignant comment ces contributions éclairent différentes manières de se rapporter aux environnements urbains à travers les sens. La seconde partie consistera en une approche exploratoire du thème des sens dans la ville à partir d'une lecture des sens dans la ville. sensorielle du déplacement d'une personne aveugle dans le centre historique de la ville de Mexico. Cette personne a bénéficié d'un entretien approfondi, puis de deux entretiens au cours desquels elle a été accompagnée dans ses déplacements quotidiens et préférés. Cette stratégie de recherche combine la parole et la marche. L'évocation des lieux et leur valorisation, ainsi que la marche et le récit des expériences et des sensations, ont permis de faire émerger pleinement les atmosphères liées au mouvement et aux sens, atmosphères qui constituent une ressource pour l'élaboration des repères du lieu et des cartes mentales d'orientation.

Sensorielle et socioculturelle

Pour situer la discussion sur les sens dans les sciences sociales, il convient de noter d'emblée qu'il est constamment reconnu que si les sens ont en principe une dimension individuelle, puisque c'est la personne qui voit, entend, et ainsi de suite avec les autres sens communément reconnus, la manière dont nous les utilisons, catégorisons les sensations avec eux et leur donnons un sens est éminemment culturelle. Howes et Classen affirment que "la façon dont nous utilisons nos sens et la façon dont nous créons et comprenons le monde sensoriel sont façonnées par la culture" (2014 : 1). Le Breton va également dans ce sens lorsqu'il postule que " la perception n'est pas l'empreinte d'un objet sur un organe sensoriel passif, mais une activité de connaissance diluée dans l'évidence ou le fruit d'une réflexion. Ce que les gens perçoivent n'est pas le réel, mais déjà un monde de significations" (2007 : 22).

Ainsi, la dimension sensorielle abordée d'un point de vue large dans les sciences sociales situe le processus de perception non plus dans l'individu, mais dans le champ de l'élaboration sociale des usages et de la signification donnée à un ensemble de stimuli qui ont une existence basée sur leur reconnaissance collective. Comme le suggère Sabido (2016), dans ce domaine, il est également important de s'interroger sur la dimension interactive (perception mutuelle d'une manière et non d'une autre) et la dimension dispositionnelle (comment on apprend à percevoir d'une manière et non d'une autre) comme une manière de rapprocher le sujet d'une nécessaire analyse sociologique.

Compte tenu de la diversité sociale et culturelle qui peut être abordée par les sciences sociales, l'un des domaines de recherche a été celui des modes sociaux et culturels de classification et de nomination de la signification. Cela a conduit à des conclusions sur la grande diversité des façons dont les sens sont conçus au-delà du monde occidental. À partir de là, des éléments ont été fournis, sur la base d'une stratégie ethnographique, pour mettre l'accent sur les ordres sensoriels des différentes cultures. Howes (2014) note, par exemple, que la philosophie indienne classique propose une liste de huit sens, dont le sens de la pensée et de l'esprit (mana), ce qui marque une opposition à la tradition occidentale de différenciation nette du corps et de l'esprit. Cette illustration minimale permet de souligner la grande diversité des manières de conceptualiser le monde sensoriel et de postuler, à la suite de Howes, que chaque ordre des sens est un ordre social, puisqu'il marque implicitement un ordre hiérarchique auquel sont attribués des groupes sociaux ou des activités. Ainsi, il existe des sens "hauts ou nobles" comme la vue, et des sens "bas" comme l'odorat et le toucher, ce qui permet ensuite de différencier les groupes sociaux en fonction de l'utilisation ou de la non-utilisation d'un certain sens pour les activités quotidiennes. Pour évoquer un cas, la mise en avant du féminin à partir de l'idée de douceur et de toucher délicat va de pair avec l'idée que le domestique est l'espace d'exercice de ces activités (voir Goffman, 1991), ou encore que dans la voiture privée, le corps est protégé des contacts imprévus avec autrui et qu'il faut donc, dans les transports en commun, " supporter " le contact avec autrui (Capron et Pérez López, 2016).

Il convient également de noter que les sens ne sont pas isolés les uns des autres, en tant qu'univers perceptifs autonomes et différenciés. Le concept de synesthésie cherche à retrouver l'amalgame des sens en un seul acte perceptif. Revenons à Le Breton (2007 : 46) : "à chaque instant, l'existence demande l'unité des sens. La perception n'est pas une somme de données mais une appréhension globale du monde". Howes et Classen (2014 : 5) vont dans le même sens en postulant que "les sensations se complètent, s'opposent et, parfois, se contredisent, comme lorsque quelque chose qui semble lourd semble léger... Elles font partie d'un réseau interactif d'expériences, plutôt que d'être situées dans des compartiments séparés d'une boîte sensorielle". Il est donc intéressant de documenter non seulement ce qui se passe au niveau de l'utilisation d'un seul sens, mais aussi ce qui émerge dans l'amalgame des sens, quand et comment cela se produit, et quels sont les usages sociaux de ces interactions presque infinies.

De même, dans le domaine des relations sensorielles, nous avons un autre domaine à systématiser, où les stimuli sensoriels sont liés à l'orientation spatiale et à l'identification des éléments matériels et sociaux présents dans la structure d'un monde perceptif. Ainsi, la dimension sensorielle est fondamentale pour expérimenter l'espace à partir d'une dimension qui n'est pas seulement abstraite, mais aussi vécue. Nous aborderons ce point plus tard en relation avec le son et la ville.

De tout ce qui précède, un vaste champ s'ouvre, celui de la structuration sociale des mondes sensoriels. Si nous l'envisageons en relation avec la dimension spatiale du social, il est clair que différents types d'espaces correspondent à un ensemble de compétences sensorielles qui nous permettent d'y être. Pour donner un exemple contrasté, une forêt requiert des compétences différentes pour l'habiter qu'une plage. L'identification de ce qui est important (sons, odeurs, direction du vent) change d'un endroit à l'autre. De plus, la même structuration matérielle permet de privilégier un sens plutôt qu'un autre pour se déplacer et exercer des activités dans cet espace. "Face à l'infinité des sensations possibles à chaque instant, une société définit des manières particulières de faire des choix, établissant entre elle et le monde le tamis des significations, des valeurs, fournissant à chacun les orientations pour exister dans le monde et communiquer avec son environnement" (Le Breton, 2006 : 23).

Les éléments sensoriels deviennent des signaux, des signes, marquant ce qu'un certain lieu, pour ainsi dire, attend de nous. Qu'il s'agisse de mouvements corporels, d'attention aux odeurs, d'écoute attentive dans les salles de concert. De même, il y a des éléments sensoriels qui servent à anticiper ce qui va se passer : le bruit du métro qui arrive à la gare, l'odeur de la nourriture à manger, une cloche qui marque la fin d'une activité. Et puis il y a tout le reste, ce qui fait partie d'une situation sociale et qui n'a pas forcément d'utilité instrumentale en soi, ce qui convoque une activité, mais qui fait partie de sa définition. C'est ce que l'on peut englober dans la définition de l'atmosphère.

En ce qui concerne l'anthropologie du lieu, Abilio Vegara (2013 : 47) fait remarquer que "la siter a son propre discours, ses propres objets et sujets, sa propre sonorité, qui, ensemble, génèrent une image de marque. atmosphère et un rythme Ce langage multiple, dans son articulation expérientielle et significative, crée la l'environnement du lieu, c'est ce qui le renforce dans la mémoire, lorsque, par exemple, l'évocation en absence naît d'un mot, d'une odeur, d'une couleur... qui ensemble forment - et renvoient à - cette atmosphère particulière". Sous réserve de revenir plus tard sur l'idée d'atmosphère, il convient de noter qu'elle est utile pour englober la concurrence sensorielle, la manière dont les sens interagissent les uns avec les autres créant un domaine particulier où aucun élément n'est le plus pertinent pour sa définition, c'est peut-être dans le mélange des domaines sensoriels que réside l'insaisissabilité d'une situation.

Le sensoriel dans la ville

Dans son essai classique sur les La vie de l'esprit dans les grandes villesGeorg Simmel (1986) établit la primauté du regard dans la vie urbaine. Le besoin d'orientation dans les déplacements urbains, associé à une vie sociale intense mais fragile, fait que le citadin s'appuie sur la vue comme ressource de positionnement social et spatial. En regardant les autres, la personne trouve sa place sociale dans le cadre de micro-interactions structurées par l'apparence ; en regardant les environnements urbains, elle distingue des itinéraires et des signes qui l'orientent.

De même, le regard ne joue pas seulement un rôle instrumental d'orientation. Selon les préceptes de l'interactionnisme symbolique, il peut également être considéré comme un dispositif de définition de soi aux yeux des autres, en incorporant à la définition de soi les effets que l'apparence génère aux yeux des autres dans les situations de contact quotidiennes (Blumer, 1982). De même, lors d'une promenade dans la rue ou dans les transports en commun, le regard localise le sujet dans l'espace et indique en même temps aux autres participants à la situation le type de disposition individuelle dans laquelle il se trouve (hâte, concentration, doute, égarement). Ainsi, celui qui regarde est également regardé par d'autres personnes autour de lui, ou par des dispositifs technologiques qui, au nom de l'efficacité et de la sécurité, dissolvent l'anonymat urbain et recherchent une transparence et une visibilité totales. La conséquence de ce qui précède est peut-être un regard dans lequel les citoyens deviennent des objets mobiles avec des trajectoires et la dimension du sens de l'urbain devient secondaire, car elle n'est pas appréciable dans les écrans de contrôle et de suivi. Le regard, en tant qu'exercice de la relation urbaine, oscille donc entre l'intensité éphémère des rencontres face à face et leur annulation expressive face à des dispositifs technologiques omniprésents. Cependant, la pratique généralisée du selfie dans les lieux publics de la ville a pour effet de revaloriser la déambulation urbaine, mais au prix d'une interaction expressive uniquement devant des appareils numériques.

D'autre part, un exemple de la manière dont les sens sont utilisés pour souligner une localisation socio-économique est fourni par Urry (2008) à propos de l'utilisation du balcon dans les villes, qui permet de regarder les autres sans être touché, ni entendre, ni sentir les passants. Cette distance sensorielle marque la ville comme étant avant tout visuelle en déconnectant les autres sens du regard ; par la suite, les gratte-ciel participent du même processus, tout comme certains bus touristiques dans lesquels la ville n'est connue que par la vue, sans descendre du transport pour toucher, sentir ou entendre.

En ce qui concerne la dimension du son dans la ville, plusieurs études soulignent son caractère problématique, c'est-à-dire qu'il est abordé lorsque, dans diverses situations, sa présence devient gênante et nuit à la santé. Le bruit en est un exemple : il s'agit d'un son dérangeant et nuisible qui a donné lieu à des enquêtes sur la manière dont il est possible de le tolérer dans des environnements résidentiels ou professionnels. Dans le cas de la ville de Mexico, il existe des approches empiriques (voir Domínguez, 2013) qui concluent que l'accoutumance au bruit est récurrente, mais non sans laisser de traces sur la santé auditive, que ce soit dans le cas des habitants d'une zone adjacente à l'aéroport de la ville ou dans les environnements de travail.

Cependant, le son n'a pas seulement un caractère perturbateur, il est aussi capable de fournir des éléments d'identification de l'espace dans lequel il se produit. C'est-à-dire qu'il y a des sons qui sont spécifiques à un lieu et dont la connaissance et l'identification renvoient immédiatement à l'environnement dans lequel ils sont produits. On peut donc parler de paysage sonore dans la mesure où l'expérience du lieu, fondée sur tout ce qui s'y passe, est inséparable de la dimension auditive. Domínguez affirme : " le son comme attribut de l'identité comprend toutes les expériences sonores qui sont considérées comme nôtres, soit parce que nous les produisons, soit parce qu'elles sont une voix collective dont nous nous sentons partie prenante ; cette identification engendre aussi la différence, c'est-à-dire la reconnaissance d'un monde sonore étranger au nôtre et auquel nous nous rattachons aussi " (2015).

Il est important de considérer l'attribut de dispersion du son, qui atteint d'autres zones que celles où il est produit en raison de son caractère expansif. C'est ainsi qu'il peut tisser des relations entre différents espaces, qu'ils soient publics ou privés, et lorsque cela est socialement valorisé, on parle de paysage sonore, et lorsque le son est vécu comme envahissant, des conflits de toutes sortes émergent (voisins bruyants, activités professionnelles aux sons irruptifs).

D'autres éléments sensibles ont leur propre langage et leur propre logique expressive (l'odorat, le toucher, les sensations kinesthésiques) ; cependant, plutôt que d'expliquer leurs caractéristiques et la manière dont ils peuvent s'articuler par rapport à l'espace urbain, il semble pertinent de réfléchir à la manière dont ces éléments s'articulent les uns avec les autres. La notion d'environnement évoquée plus haut a la capacité d'intégrer un univers sensible attaché à un espace particulier, où il ne s'agit pas d'isoler différents éléments sensoriels, mais de les contempler dans leur ensemble. Cette notion met en jeu la "relation sensible d'un ensemble de sujets percevants, ... un minimum d'expression et ... ne peut se produire indépendamment d'une temporalité vivante dont elle naît et qui la fait disparaître" (Amphoux, 2003). Cette perspective affirme également l'idée d'intersensorialité dans un double sens : les environnements existent non seulement en fonction de leur perception par les sens, mais aussi parce qu'une signification culturellement partagée leur est attribuée. Ainsi, les données sensorielles et l'interprétation commune sont fondamentales dans l'identification et la construction d'une atmosphère.

Sur la base des arguments développés jusqu'à présent, il est possible de proposer l'existence d'un ordre sensoriel urbain composé de la relation entre les espaces et les pratiques. Cela signifie qu'il est possible de penser qu'un certain type d'espace correspond à un univers sensoriel générique. C'est-à-dire qu'à une certaine disposition matérielle existant dans une certaine typologie d'espaces dans la ville (rues commerciales, quartiers résidentiels populaires, secteurs intermédiaires ou usages mixtes), il est possible de trouver une régularité dans les éléments sensoriels. Cela indique également une distribution ou une structuration sociale de l'expérience sensorielle, puisque dans une ville socialement hétérogène, les univers sensoriels ne sont pas seulement divers, mais sont configurés et font appel à différents types de sensibilités qui sont valorisées différemment sur la base d'ascriptions sociales. Il existe donc des activités et des descriptions dans lesquelles l'intensité des stimuli sensoriels fait partie d'un habitus social particulier. Pensons, par exemple, à l'activité commerciale dans les quartiers populaires qui se déroule dans une atmosphère d'agitation où convergent les sons, les odeurs, les inévitables contacts interpersonnels, et d'autre part, aux environnements commerciaux régis par l'idée d'ordre visuel, où tout doit être reconnaissable par le regard, et où les autres stimuli sensoriels sont contrôlés par des stratégies de " mise en scène " et de " mise en scène ". marketing (éclairage, sons, température, etc.). Tout ce qui précède nous permet de penser à la présence de stimuli spatialement et socialement différenciés dans lesquels ce qui, pour certains, est typique et habituel et va de soi, peut, pour d'autres, générer de l'étrangeté et une sensation d'irruption et de dislocation.

Dans ce contexte, il est nécessaire de considérer la rue comme un espace de stimulation sensorielle multiple, dans de nombreux cas faiblement réglementé en termes formels, et dans d'autres, l'objet de politiques qui réglementent à la fois les aspects matériels et sensoriels. Quoi qu'il en soit, l'expérience de l'habitant de vastes zones de la ville latino-américaine renvoie, comme le soulignent Duhau et Giglia (2008), à un ordre urbain en négociation continue dans lequel les réglementations font généralement l'objet d'une interprétation avantageuse pour ceux qui se situent à l'intérieur de leurs limites. Il est donc également nécessaire de s'interroger sur les conditions urbaines, en termes de normativités sociales, qui permettent la conformation d'environnements sensoriels particuliers et sur la manière dont ceux-ci peuvent être l'expression de dimensions culturelles positivement valorisées ou signaler une détérioration basée sur des intérêts particuliers imposés par des conditions de pouvoir et de hiérarchie.

Il ne faut pas oublier qu'il y a aussi l'ordre social à partir duquel les passants abordent, en termes de processus de catégorisation, d'autres passants. On remarque ici que l'ordre dans lequel on place les autres révèle subtilement l'ordre auquel on appartient : les étrangers à la situation sont facilement repérés par les natifs d'un lieu et cela donne lieu au jeu des reconnaissances et des négociations sur l'ordre dans lequel les relations se développent (voir Grimaldo, 2018).

D'autre part, il est également pertinent de noter que les univers sensoriels sont fortement associés aux modes de déplacement urbain. La façon de se déplacer dans l'espace public est une exposition particulière à un certain monde sensoriel. Ainsi, les transports publics sont sensoriellement différents des voitures particulières, du vélo ou de la marche. Chacun d'entre eux a sa propre complexité en exposant le voyageur à un monde sensoriel multiple, qu'il s'agisse de l'extérieur/intérieur de la voiture ou du bus, de la concentration sensorielle du voyageur souterrain, ou de l'intensité différente de la stimulation pour le cycliste ou le marcheur. Déjà E.T. Hall dans son célèbre ouvrage
La dimensión oculta (1995) a également noté la différence de perception de l'espace entre ceux qui se déplacent en voiture et ceux qui marchent ; dans le premier cas, le regard est au centre et les constructions et objets se déplacent sur les côtés, tandis que dans le second cas, la perception est plus riche, avec la possibilité de changer continuellement l'attention du regard et de concentrer soigneusement les sens sur un point particulier. On peut alors souligner que l'analyse d'un espace qui implique les sens permet d'avoir une perspective plus complexe de ce qui est en jeu, de lui donner un caractère particulier au-delà de la simple visualité.

D'autre part, une question pertinente dans ce contexte est de savoir comment analyser les expériences sensorielles liées au fait d'être et d'aller dans des lieux de la ville. Tim Cresswell (2004 : 11) suggère de manière très suggestive qu'un lieu n'est pas seulement une chose dans le monde, mais une manière de comprendre le monde. Il souligne que "lorsque nous considérons le monde comme un monde de lieux, nous voyons des choses différentes. Nous voyons des attachements et des liens entre les gens et les lieux. Nous voyons des mondes de sens et d'expérience". Cela soulève la possibilité de se demander comment les lieux sont façonnés par les expériences sensorielles et comment le sensoriel n'est pas seulement une donnée corporelle expérimentée, mais devient un moyen de comprendre et d'interpréter le monde, ou du moins un certain monde social avec lequel on est en relation. Une proposition très utile dans la perspective que nous proposons est d'aborder le sensoriel à partir d'une approche ethnographique. Cela permet de récupérer l'expérience sensorielle du point de vue de ceux qui sont ou circulent quelque part, ainsi que d'approcher cette expérience sur la base de pratiques significatives et pas seulement comme un ensemble d'évocations ou de récits décontextualisés. Cette idée s'exprime dans le projet d'une anthropologie des sens qui, selon Sarah Pink, se caractérise par trois thèmes principaux : "elle explore la question de la relation entre la perception sensorielle et la culture, elle s'engage dans des questions sur le statut de la vision et sa relation avec les autres sens, et elle recherche une forme de réflexivité qui va au-delà de la façon dont la culture est "écrite" pour examiner les sites de la connaissance incarnée" (2015 : 13). Cela implique également une ethnographie située qui contemple le sujet de l'expérience en s'intéressant aux relations entre les corps, les esprits et la matérialité et la sensorialité de l'environnement (2015 : 28). Ainsi, l'approche ethnographique, dans cette perspective, suppose la reconnaissance de divers environnements, qu'ils soient sociaux, matériels, discursifs ou sensoriels.

Marcher dans le centre de Mexico en tant qu'aveugle

Dans cette section, nous cherchons à aborder un cas spécifique d'analyse de la dimension sensorielle de la marche. La tournure particulière que prendra l'analyse consistera à récupérer l'expérience d'une personne aveugle dans son parcours à travers le centre historique de la ville de Mexico et son récit, à travers un entretien approfondi et deux entretiens au cours de promenades, des différentes stratégies de mobilité et de la dimension sensorielle qu'elles comportent. L'entretien approfondi a abordé des questions telles que l'évaluation de la marche dans la ville, les expériences et les événements survenus au cours des trajets et une exploration de la dimension biographique en relation avec les déplacements. Deux promenades dans le centre-ville ont également été effectuées, au cours desquelles les participants ont été invités à commenter leurs mouvements habituels, ce qui attirait leur attention et les formes d'orientation affichées dans les différents environnements. La combinaison des pas et des mots a permis d'aborder les sens en mouvement et leur relation avec les lieux, les situations et les marqueurs territoriaux. Ce travail de recherche vise, à partir des entretiens réalisés et de la méthodologie employée, à ouvrir des pistes d'interprétation de la manière dont sont conçus les déplacements dans la ville ; il s'agit d'une tentative de dire quelque chose de ce qui est présent dans les pas et les déplacements.

Le choix d'analyser la dimension sensorielle à partir d'une personne aveugle a pour but de rendre explicite l'univers sensoriel urbain lorsque le regard est absent, étant donné l'importance accordée à cette dimension dans l'expérience de la ville. Ainsi, sans le regard, d'autres éléments sensoriels émergent fortement, tandis que l'utilisation des sens comme mécanisme d'orientation et d'identification des lieux urbains devient évidente. La marche peut également être considérée comme "une manière de créer des lieux (création de lieux) en considérant la dimension corporelle du piéton et la participation multisensorielle à l'environnement " (Pink, 2015 : 112). En reprenant la citation précédente de Cresswell, nous constatons que marcher, c'est répéter des façons de comprendre le monde.

Il convient de noter que l'analyse des déplacements des personnes aveugles dans la ville a également été abordée sous l'angle des environnements handicapants, c'est-à-dire ceux qui présentent des barrières physiques pour les personnes présentant un certain type de handicap, une conception architecturale qui exclut les personnes incapables d'utiliser les escaliers ou les poignées de porte et des moyens de transport qui supposent que toutes les personnes ont les mêmes capacités de mobilité (voir Hernández, 2012). En fait, la Convention relative aux droits des personnes handicapées parrainée par les Nations unies propose le droit à l'accessibilité, aux transports publics et ce qui est défini comme le droit à l'urbanisme, entendu comme "que les bâtiments et les lieux publics disposent d'installations adéquates et accessibles pour les personnes handicapées. Ils permettront ainsi aux personnes handicapées de développer pleinement leurs activités professionnelles, éducatives, culturelles et récréatives. Les rampes d'accès, les portes larges, les ascenseurs, les mains courantes, les toilettes adaptées, entre autres, sont des exemples d'adaptations architecturales et urbaines. (cndh, n.d.). Nous constatons ici une tension persistante entre les caractéristiques des espaces et des conceptions qui entravent la mobilité des personnes handicapées et les droits auxquels elles ont accès. Comme nous le verrons plus loin, cette tension est résolue par des stratégies individuelles visant à surmonter les obstacles et par un recours limité à des actions de conception ou au fonctionnement d'équipements découlant de l'existence de ces droits (comme dans le cas des panneaux tactiles sur le trottoir et des feux de circulation sonores).

Comme nous l'avons déjà mentionné, nous partons de l'idée de l'existence d'un ordre sensoriel qui, dans le cas de certaines zones du centre-ville, se traduit par l'utilisation intense de l'espace public pour des activités commerciales, structurées par la relation conflictuelle des acteurs membres des associations de vendeurs de rue, qui entretiennent un conflit constant sur leur présence dans les rues avec les autorités locales et les commerçants établis. Il en résulte un espace "instable", dans le sens d'une normativité habituellement négociée, qui s'exprime par une activité commerciale informelle intense sur les voies publiques, produisant diverses atmosphères sensorielles.

L'analyse se basera sur le cas d'une personne qui a été interviewée et accompagnée dans son parcours dans les rues du centre historique de Mexico. Nous l'appellerons Juan Antonio, il a 32 ans et vit depuis douze ans à l'école nationale pour aveugles, située en plein centre de la ville. Le matin, il étudie la pédagogie et l'après-midi, il travaille dans le métro en chantant ou en vendant de l'alcool. cdCela le positionne d'une manière particulière, comme nous le verrons plus loin, par rapport au commerce de rue. Il est très mobile dans la ville, en transports publics et à pied. En outre, il convient de mentionner que ses descriptions d'itinéraires et ses commentaires au cours de la promenade sont très détaillés, révélant une conscience aiguë du monde qui l'entoure. L'utilisation du langage pour "traduire" les expériences est également remarquable. Le langage populaire, les jeux de mots, l'humour sont largement utilisés et témoignent d'une grande créativité basée sur l'expérience sensorielle.2

La centralité en mouvement

Tout d'abord, il convient de noter que Juan Antonio fait une distinction très nette entre les trajets pour le travail ou l'école et les trajets agréables. Dans le parcours agréable, il y a un point d'arrivée très valorisé (un endroit où prendre un café), écouter le bruit de l'eau sur un mur avec de la végétation et le bruit du vent qui fait bouger les plantes. Ce parcours agréable est configuré à partir de ce qu'il appelle des "lieux secrets", des coins, des murs, des lieux délimités, qui ont une dimension sensorielle particulière qui se manifeste par l'utilisation concentrée des sens, comme l'odeur du café, le vent qui fait bouger la végétation. Cela révèle un thème qui apparaîtra à différents moments de l'entretien : la capacité aiguë à reconnaître les données sensibles comme un élément de différenciation positive par rapport aux autres usagers de la rue. L'idée même de "lieu secret" exprimée ne renvoie pas tant au lieu lui-même qu'à la capacité d'y accéder de manière sensible, une capacité que ne possèdent pas les autres passants ; le secret serait alors lié à l'exclusivité de l'accès.

Dans ce contexte, il est intéressant de rappeler la déclaration de Tim Ingold (2011 : 46) sur la valeur du mouvement dans la connaissance de l'environnement : "le point de départ de l'étude de l'activité perceptive est la locomotion et non la cognition". Cette approche reprend et développe l'idée du psychologue J. Gibson selon laquelle la perception part d'un "chemin d'observation" ; s'il en est ainsi, il convient de réfléchir au fait que, puisque la perception est fonction du mouvement, nous devons percevoir, même si ce n'est que partiellement, en fonction de la manière dont nous nous déplaçons. Cela permet donc de penser que la "voie d'observation" de Gibson peut être transformée en une "voie sensible", à partir de laquelle nous obtenons une multiplicité d'expériences sensorielles qui dérivent du mouvement. Ainsi, le monde sensible d'une personne aveugle est façonné non seulement par les informations provenant de l'environnement, mais aussi par ces informations en mouvement (proche-lointain, bas-haut) et par la façon dont le corps est capable de les percevoir (haut-bas, texture rocailleuse-lisseuse).

Afin d'aborder le récit de Juan Antonio, issu d'un entretien approfondi, puis d'un autre entretien réalisé en marchant avec lui dans les rues du centre, les dimensions thématiques les plus pertinentes présentes dans les témoignages seront systématisées.

Émotions et affections

Si les déplacements effectués peuvent avoir une finalité instrumentale, se rendre au métro ou retourner sur son lieu de vie, ils s'accompagnent d'une dimension affective. La possibilité d'un imprévu, d'un obstacle qui fait trébucher, est fortement associée à l'idée de peur et de prudence. La traduction de ce qui précède est la lenteur et la prudence dans les pas, car la vitesse est un risque. Dans le mouvement lent, les sens sont synchronisés, la capacité à déchiffrer ce qui est autour et le mouvement du corps assurent la stabilité des pas. La sécurité est donc une sensation de lenteur ; la peur, de rapidité et d'imprévu.

Continuité interrompue
Chaussées à obstacles

Données sensorielles

Dans l'entretien, les données sensorielles sont multiples et vont de la reconnaissance du lieu à partir d'éléments particuliers à l'inattendu qui se manifeste avec dureté. Les poteaux de rue sont reconnus en les touchant, l'eau sur le trottoir est identifiée comme provenant de la fonte de la glace, les odeurs des aliments et le bruit de l'huile dans laquelle certains d'entre eux sont frits sont facilement perçus. Le grondement des voitures et des minibus est reconnaissable et distinguable. Il y a une église qui a une odeur caractéristique : vieille. Il y a des éléments sensoriels qui se décryptent facilement et rapidement ou alors par un apprentissage lent. La citation suivante l'illustre :

Dans mon cas, en tant que personne aveugle, j'aime m'arrêter et toucher le mur comme référence pour voir quelle caractéristique il a, s'il est robuste, s'il est rugueux, si c'est un mur épais ou s'il est un peu réduit, s'il a un surplomb, s'il a des languettes pour qu'il ne frappe pas mon front ou ma tête ? et cette idée de pouvoir vérifier ces points de référence me permet de percevoir ces types de constructions par le toucher, l'ouïe et l'odorat, parce que je peux les percevoir ; même si vous ne le croyez pas, je peux le faire.

Mais il y a aussi des sensations qui apparaissent soudainement et qui renvoient à la douleur. Il y a des objets en mouvement, des cartons, des marchandises dans la rue, des vélos garés, dans lesquels on se cogne. Les objets et les situations qui ne peuvent être anticipés montrent la dureté du déplacement.

Textures et rugosité
Textures et rugosité
Textures et rugosité

Ressources cognitives

Le mouvement n'a pas seulement lieu sur la surface matérielle de la route, des rues, des places, mais il a aussi une dimension cognitive très importante. L'élaboration de cartes mentales permet d'organiser le déplacement à partir d'un espace figuré par l'expérience sensible. Sur la base de la localisation et de l'orientation cardinale de la personne aveugle, il est possible d'anticiper l'itinéraire. Dans le cas de Juan Antonio, la carte est principalement constituée de séquences, l'identification des rues en fonction de leur relation les unes avec les autres constituant cette carte (voir l'analyse des types de cartes cognitives dans Varela et Vidal, 2005). La valeur instrumentale de cette carte cognitive réside dans sa stabilité, dans le fait que les rues peuvent être parcourues selon l'ordre dans lequel elles sont disposées dans l'esprit de la personne. Cependant, pour une personne aveugle, la grande difficulté à suivre la carte est, comme nous l'avons déjà mentionné, l'apparition de l'inattendu, le fait qu'un élément matériel ait été transformé : de nouveaux objets dans les rues, tels que des clôtures, des tables, des égouts à ciel ouvert, sont une source de dislocation dans les itinéraires. Comme le reconnaît Hernández, "les perceptions, évaluations et représentations spatiales ne sont pas simplement des moyens neutres utilisés pour enregistrer, analyser, communiquer et concevoir l'espace, mais constituent de puissants instruments de contrôle spatial" (2012 : 80).

De même, l'expérience accumulée lors de multiples déplacements devient mémoire. La reconnaissance des lieux en fonction des odeurs et des textures rend la mémoire également sensible. La reconnaissance de certains attributs (sons, irrégularités du bitume) permet également l'orientation et la mise à jour de la carte cognitive en situant la personne à un endroit précis du parcours. Dans le transfert, la mémoire n'est pas seulement un stockage d'informations abstraites, c'est surtout une capacité qui se vit à partir du corps et en harmonie avec les autres éléments sensibles présents dans la rue. Il y aurait alors une capacité à expérimenter le milieu physique environnant à partir de la coordination d'une grande quantité d'informations sensibles ainsi que de ressources cognitives. L'absence du regard comme principe d'ordonnancement et d'identification des éléments d'orientation fait que toutes les autres manières d'expérimenter l'environnement se réduisent à la possibilité de reconnaissance et de mouvement. Dans ce processus, le corps et la mémoire jouent cependant un rôle actif dans la création d'une entité sensible à travers laquelle il est possible de se déplacer en toute sécurité.

Cartographier avec l'odeur

Stratégies de mouvement

Sur la base de ce qui précède, il est admis que le déplacement dans les rues bondées du centre ville met en jeu une multiplicité d'éléments sensibles. L'absence du regard signifie que ces éléments ne suffisent pas à permettre le déplacement. D'une part, l'appui de la canne est nécessaire, d'autre part, l'aide d'autres personnes. La canne est le prolongement du toucher et permet d'identifier les textures de l'asphalte, l'existence de rampes et de trous, ainsi que les obstacles sur la route. Elle est donc un outil essentiel, tout comme elle identifie pour les autres marcheurs la cécité de la personne qui la porte. L'interviewé demande généralement l'appui de la personne qui se trouve à proximité pour traverser les rues, même si parfois sa voix n'est pas entendue en raison du bruit ambiant. Lorsqu'il ne reçoit pas de réponse, il a recours aux cris comme deuxième option, dans une lutte franche avec le vrombissement des voitures et la musique des étals de rue. Lorsqu'ils obtiennent de l'attention, ils demandent l'autorisation de prendre la personne qui les aide par le bras.

Guide bâton de marche (ou podotactile)
Guide bâton de marche (ou podotactile)
Route empruntée
Décryptage des croisières

Il est intéressant de noter que le rythme de déplacement dans les zones commerciales des zones urbaines populaires est similaire à celui de la zone des vendeurs ambulants du centre. Face à la grande quantité de marchandises déposées sur le trottoir aux heures de pointe, l'espace laissé aux piétons pour circuler est très réduit, il faut donc marcher en évitant les obstacles, en déplaçant le corps pour ne pas heurter les personnes et les objets. La personne aveugle cherche alors la meilleure façon de se déplacer dans une petite chorégraphie à travers un espace résiduel sinueux et bigarré. Il y a une utilisation du corps qui, malgré les différences imposées par la situation de cécité, est partagée avec d'autres habitants et d'autres espaces.

Une autre situation d'interaction avec les personnes qui l'entourent se produit lorsqu'il demande de l'aide pour localiser une rue. Cette situation est évidemment source de confusion, car Juan Antonio suppose que la personne tend le bras pour indiquer une direction, sans tenir compte de son incapacité à voir où la main pointe, ni des indications "à gauche" ou "à droite", puisqu'il ne connaît pas la position de la personne qui indique la route. Dans d'autres cas, la demande d'aide ne porte pas sur la traversée de la route, mais sur la localisation d'un point de repère qui l'aidera à poursuivre son chemin. Parfois, les réponses sont exactes et correspondent à l'idée que la personne se fait de l'endroit où elle doit se rendre. Mais il arrive aussi que les réponses soient complètement fausses et ne correspondent pas aux connaissances de la personne interrogée sur la région. Cela provoque le commentaire sarcastique suivant : "il y a des gens qui sont plus aveugles que moi". Des collisions imprévues avec d'autres personnes se produisent également, ce qui suscite la plainte suivante : "Vous ne voyez pas où vous allez", et la réponse est "non".

Dans les relations avec les autres, il y a donc un usage du corps différent des normes habituelles de coexistence entre inconnus dans la rue. Demander de l'aide en élevant la voix dans un environnement sonore saturé et demander la permission de prendre les autres par le bras sont peut-être les éléments les plus distinctifs. Les pactes d'anonymat dans le transit urbain sont transgressés, par le cri et le toucher, un lien est établi avec l'espace environnant, désormais dans sa dimension interpersonnelle. On se sert des autres, malgré les malentendus que cela peut engendrer. Les ressources du déplacement vont ainsi de la dimension sensorielle de l'environnement matériel à la corporéité des passants proches. Cela place les personnes aveugles dans un ordre d'interaction particulier, où d'autres formes de relations que les relations dominantes sont possibles.

Préférences environnementales

Les itinéraires et les lieux qui sont préférés aux autres, ce qui est apprécié lors de la marche, constituent cette dimension des préférences environnementales et il est pertinent de les considérer, car cela montre la situation dans laquelle les sens ne sont pas en alerte en prévision d'un accident ou d'une erreur, mais plutôt sous l'idée de la relaxation et du plaisir. Pour Juan Antonio, les trajets du dimanche après-midi sont les plus agréables. Le centre-ville perd un peu de son intensité habituelle, la densité d'objets et de personnes est plus faible, le rythme des activités est plus lent. Dans ce contexte, l'interviewé aime entendre les cris des vendeurs de rue : "pásele güerita y métale mano ... a la mercancía". Il reconnaît que cela lui remonte le moral et lui donne un esprit positif (n'oubliez pas qu'il est également vendeur ambulant le soir). De même, il indique qu'il se rend dans certaines rues où il y a des vendeurs ambulants pour acheter des vêtements dans une situation où il peut les toucher, sentir leur texture, s'enquérir de leurs couleurs et les essayer sur place, ce qu'il ne peut pas faire lorsqu'il passe devant les grands magasins qui n'ont que des vitres comme frontières avec la rue. Il y a donc une interaction directe avec les objets et les vendeurs dans les magasins de rue qui fait partie de son mode habituel de relation avec son environnement ; il participe à un ordre sensoriel qu'il reconnaît et qu'il considère comme sien.

Un autre itinéraire que l'interviewé apprécie est celui de la rue Regina, qui a été transformée en voie piétonne et où les odeurs et la possibilité de se promener en toute tranquillité sont pour lui la principale source d'attraction. Au cours de l'entretien, comme mentionné au début de ce texte, Juan Antonio emmène son interlocutrice devant un mur recouvert de végétation dans cette même rue et lui demande "entendez-vous quelque chose". Vous êtes guidée par votre vision et vous avez manqué quelque chose, écoutez". Enfin, l'enquêteur reconnaît le bruit de l'eau comme faisant partie du système d'irrigation du mur végétal. Enfin, la personne interrogée souligne : "c'est l'eau qui filtre à travers ce mur, à travers ces plantes... c'est un endroit merveilleux et je suis très envieux parce que tout le monde n'est pas invité ici, j'aime venir seul, je ne suis pas intéressé par le fait de venir avec quelqu'un, j'aime la tranquillité, j'aime la paix et le calme. Ici, on me croise les yeux. Paradoxalement, le mur végétal, construit principalement pour être vu, constitue désormais un paysage sonore inattendu capable d'ouvrir de nouvelles dimensions sensorielles et symboliques pour une personne aveugle. L'eau comme évocation de la tranquillité est associée à l'idée d'un lieu secret, auquel on ne peut accéder que par un usage particulier des sens. L'absence de regard se traduit ici par la possibilité d'accéder à d'autres caractéristiques du monde matériel de la rue, insoupçonnées par le passant habituel, et qui configurent un discours selon lequel, même dans des conditions de désavantage social, il est possible d'avoir un aspect positif, tel que l'accès à cette sphère sonore.

Mur du son

Récit de la marche d'une personne aveugle

Les sens ne sont pas seulement liés au langage en termes de lexique et de nominations pour faire référence aux sensations, nous pouvons également trouver un récit sur la manière dont les sens sont utilisés dans certaines situations, par exemple dans des contextes de travail ou en relation avec la sexualité, pour n'en citer que quelques-uns. Le concept de récit est utilisé dans le sens de Daiute et Lightfoot (2004) : xi) : "Les discours narratifs sont des significations et des interprétations culturelles qui guident la perception, la pensée, l'interaction et l'action... La manière dont les gens racontent des histoires influence la façon dont ils perçoivent, se souviennent et anticipent les événements futurs". L'idée de narration implique ici non seulement un récit des événements, mais leur organisation en une intrigue qui est déjà un principe d'interprétation. Dans le cas qui nous occupe, la perception sensible de l'environnement dans lequel on se promène, le centre historique, est encadrée par une structure narrative, culturellement accessible et reconnaissable, sur la marche en tant qu'aveugle. La trame narrative identifiable est celle qui fait référence à l'acceptation de sa situation, à la nécessité de ne pas se laisser abattre par les circonstances adverses et de prendre avec humour les difficultés qui se présentent. Dans ce cas, on peut penser que le positionnement narratif aboutit à une stratégie d'adaptation à la situation de cécité.

En résumé, cette trame narrative, qui s'est construite tout au long de l'entretien approfondi et de la promenade avec Juan Antonio, se retrouve dans la citation suivante :

... en entrant dans le métro, j'allais très vite et je n'ai pas remarqué qu'il y avait un tamis ouvert ; quand je m'en suis souvenu, je descendais ; c'était le dernier jour d'exercice à l'école normale. J'avais l'air bien et tout, je me disais, et je suis sorti tout boueux, parce que je ne savais pas qu'il y avait de l'eau au fond du tamis, de l'eau noire et d'autres couleurs ! Tant bien que mal, je suis sortie et je me suis arrêtée pour méditer un peu et je me suis sentie toute boueuse et triste de ce qui m'était arrivé. Je me suis dit : pas question, je m'en suis remise et je vais aller à l'école comme ça.

Cette citation fait référence à un cas extrême de difficulté avec l'environnement matériel dans lequel, malgré tout, l'humour, le langage métaphorique et l'esprit de dépassement sont présents.

Par ailleurs, dans le récit exprimé et formulé au cours de l'entretien, le narrateur et son appréciation du monde sensible qu'il traverse se construisent mutuellement. Le narrateur se construit comme quelqu'un d'actif et la ville est un terrain à parcourir avec l'astuce de quelqu'un qui sait décrypter les éléments sensoriels à sa portée. Il est important de considérer que l'humour est un élément fondamental de ce récit, comme une manière de dédramatiser la situation de cécité et les difficultés qu'elle impose dans les déplacements quotidiens. L'utilisation du langage populaire, en particulier des métaphores et des analogies, révèle également une manière de faire face aux adversités quotidiennes et une ressource culturelle qu'il utilise abondamment. Un exemple est le suivant, dans lequel il parle de son retour à l'internat après avoir pris son petit-déjeuner sur un marché voisin :

Sur le chemin du retour, il y a d'autres magasins ouverts et ils nettoient, et soit je prends le seau, le balai ou n'importe quoi entre mes pieds, soit je me heurte à la porte du magasin qu'ils laissent ouverte, et cela me dérange vraiment, mais je me dis aussi "ces gens ne sont pas responsables du fait que je ne vois pas, n'est-ce pas, je dois faire avec eux", et je continue. Je prends les choses du bon côté, comme l'a dit Chimoltrufia, je me frotte si le coup a été trop fort, ou je ris, puisque je n'ai pas d'autre choix...

Dans le même ordre d'idées, il y a également de nombreuses références dans l'interview aux odeurs de la cuisine de rue dans les rues où il se promène, comme s'il pouvait regarder à travers son odorat. Dans ce récit, les odeurs correspondent à un point particulier de l'espace : dans telle rue, il y a tel magasin ou tel type de produit, et en même temps leur énumération (tortas, tamales, churros...), gaufresCela a pour effet d'introduire une dimension ludique dans l'histoire.

Le langage des sens et du voyage prend une forme culturelle, le récit du dépassement de l'adversité, en utilisant un lexique et des figures rhétoriques typiques d'un milieu culturel urbain populaire.

Conclusions

Dans ce texte, il s'agit d'une part de souligner la pertinence de l'étude des sens dans les sciences sociales, et d'autre part d'exemplifier ce champ à travers un exercice d'ethnographie des sens. Il s'agissait de dépasser la pensée instrumentale des déplacements quotidiens, comme un accès à des mondes sensibles où les données des sens deviennent des ressources indispensables à la mobilité. Le centre ville s'est avéré être un cadre fructueux pour cette approche, la vie intense des rues représentant ce que l'on pourrait appeler une atmosphère sensorielle totale. La notion d'atmosphère regroupe le grand nombre de stimuli sensoriels avec lesquels le passant urbain est en contact et qui forment une relation sensible avec l'environnement. La fluidité du monde sensoriel, qui permet de passer aisément de ce qui est entendu à ce qui est senti, de ce qui est goûté à la sensation corporelle, fournit des éléments pour retrouver une phénoménologie de la perception dans laquelle le sujet participe activement à l'élaboration d'atmosphères éphémères.

La notion d'atmosphère mériterait d'être explorée dans la mesure où elle met en jeu la relation entre les données sensorielles et leurs contextes, ainsi que les associations provoquées par les stimuli et les souvenirs générés dans ces lieux sans cesse réactualisés à chaque visite. L'approche sensorielle montre un monde social qui se constitue au moment où l'on touche, où l'on fait l'expérience du corps. Les objets heurtés ne sont pas là par hasard, parler et toucher les autres passants se fait à partir des limites des règles d'interaction dans les lieux publics, les signes tactiles envahis renvoient à des transgressions non réfléchies ; le monde matériel et sensoriel traversé correspond à un ordre de pratiques situé dans un contexte particulier. Leur connaissance permet le déplacement, tout en définissant la personne qui le fait comme en faisant partie.

Les entretiens et la visite effectuée avec Juan Antonio montrent l'existence d'un ordre sensoriel très hétérogène dans lequel se combinent les stratégies de déplacement, la reconnaissance des données sensorielles, les capacités du corps en mouvement et le discours dans lequel tout cela s'insère pour être communicable et créer un effet de reconnaissance et de compréhension. Les sensations que l'on peut qualifier d'urbaines naissent du mouvement des uns et des autres, de l'interprétation et de l'agencement qui en est fait, le tout conduisant à des formes de mobilité à base de sensations. Dans cette sorte de bande de Moebius où les sensations et le mouvement sont les deux faces de l'expérience, ils se modèlent et se confondent. Lorsque Juan Antonio dit que dans son lieu secret, le mur vert, "il prend un taco de ojo", les notions sensorielles se dissolvent dans un festival de synesthésies : le son est déplacé vers le regard, le regard vers le sens du goût, ce qui est ingéré est lié aux difficultés de la vue.

D'autre part, le travail de terrain réalisé confirme la capacité de l'approche ethnographique à articuler de multiples sources d'information. La concomitance méthodologique du verbal, de l'approche narrative, de l'image, de l'observation, a fourni de multiples éléments pour approcher les facettes du monde sensible et ses interrelations. Les déplacements impliquent un grand nombre d'actions en relation avec le monde matériel et social, et cet ensemble de situations sensibles sont pleinement exprimées dans des langages qui permettent de mettre à jour les éléments centraux de leur signification personnelle et culturelle. Les expériences des personnes interrogées, configurées à partir de leur articulation narrative, montrent comment les odeurs, les sons et les textures de la rue peuvent être les pièces d'un puzzle qui prend sa forme finale lorsqu'il est assemblé dans une intrigue orientée socialement et biographiquement, une intrigue qui, bien sûr, n'est jamais définitive, elle change en fonction de la situation et du contexte. Ce qui est important, c'est qu'il s'agit d'une information sensorielle qui devient bien plus que cela lorsqu'elle est utilisée et signifiée en relation avec le déplacement.

La vulnérabilité de la personne aveugle est évidente, de même que l'importance des ressources personnelles pour y faire face. Dans les témoignages recueillis, l'absence de références à des politiques urbaines permettant une accessibilité sûre aux ressources de mobilité (rampes, signaux auditifs et de texture matérielle) est frappante, ce qui accentue la fragilité sociale des personnes souffrant d'un certain type de handicap. Les politiques urbaines traduites en éléments de design (trottoirs tactiles ou feux de signalisation sonores), bien qu'elles représentent une reconnaissance des droits à la mobilité des personnes handicapées, montrent également leurs difficultés d'utilisation efficace dans des contextes de saturation de stimuli sensoriels et d'accumulation de signes et de mobilier urbain.

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