Dystopies : l'hydre et la tempête à venir. Les récits de l'avenir dans le zapatisme1

Réception : 26 septembre 2019

Acceptation : 24 février 2020

Résumé

Le mouvement zapatiste a développé un discours explicite sur le temps, un discours qui s'est radicalisé au point de vouloir le reconfigurer dans une rébellion basée sur la résistance. Dans cet article, à partir d'une analyse critique du discours (acd), il traite des récits du futur dans le zapatisme, en particulier des récits auxquels souscrivent les allégories du futur. hydre et le tempête à venir. Le concept de dystopique mettre en évidence la faisabilité et l'évaluation rationnelle des scénarios possibles d'échec social.

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Dystopistique : l'hydre et la tempête à venir. Les récits du futur dans le zapatisme

Le mouvement zapatiste a développé un discours explicite sur le temps, qui se radicalise au point de vouloir se reconfigurer en une rébellion menée depuis la résistance. Cet article, tiré de l'Analyse critique du discours (mufle)Nous aborderons les récits de l'avenir dans le zapatisme, en particulier les récits approuvés dans le rapport de la Commission européenne. Hydra et le Tempête à venir allégorie. Le concept de dystopistique est proposé pour mettre en évidence la faisabilité et l'évaluation rationnelle des scénarios possibles d'échec social.

Mots-clés : Temporalité, zapatisme, futur, dystopique.


Introduction

¿PL'avenir peut-il être imaginé et éclos de différentes manières ? La question cartésienne de savoir comment réparer le monde et s'il s'agit du meilleur des mondes possibles est particulièrement nécessaire aujourd'hui face à la domination mondiale de la configuration temporelle capitaliste hégémonique et à l'évidence d'un effondrement planétaire imminent : comment pouvons-nous réparer le monde, le révolutionner à partir d'une approche temporelle, le réparer en tant que réparation, en tant qu'ordre et en tant que réorientation ontologique de notre place en son sein ? Le réparer, l'ordonner et réorienter ontologiquement la place que nous y occupons. La réparer à partir des coordonnées fondamentales de ses fondations, c'est-à-dire à partir de l'espace et du temps. La temporalité (le temps en tant que construction sociale) est constitutive du social-historique. Pour Norbert Elias (1989), la perception et l'expérience du temps sont socioculturellement construites. Ce processus implique la coordination de rythmes qui rendent possibles les liens sociaux, les pratiques collectives, le degré et le type de relations intersubjectives. Il ne peut y avoir de recherche ou de réflexion sur le social sans chronologie, et il n'y a pas de chronologie neutre. Les récits zapatistes sur le temps et le futur mettent en garde contre l'imminence d'un effondrement environnemental à l'échelle planétaire, mais aussi, de manière dialectique, contre le présent en tant que tournant pour une rébellion exprimée par la formule "Assez, c'est assez".

Pour comprendre la configuration temporelle zapatiste, nous partons d'une approche bidimensionnelle du temps proposée par Guadalupe Valencia (2009) : chronos comme mesure et kairos en tant qu'expérience subjective. C'est-à-dire d'un temps chronologique qui, à son tour, est chargé de sens, d'intention, de subjectivité, de mémoire et d'un avenir socialement construit. Le concept de champ temporaire (Valencia, 2009) dans laquelle le temps est caractérisé comme un réseau d'intentionnalités dans lequel il y a une tension : 1) échelle et répétition, 2) changement et permanence, 3) instant et durée.

Le zapatisme a développé un discours explicite et systématique sur le temps. Ses actions depuis le soulèvement armé de 1994 ont été des marqueurs et des signifiants du temps. L'oubli, la mémoire et un futur rétrocédé dans l'action présente apparaissent comme une reformulation créative du présent. itérations passé-présent-futur (Kosellek, 1993).

L'approche méthodologique proposée ici est celle de l'analyse critique du discours. (acd)qui a examiné la corpus2 composé des trois volumes du texte "La pensée critique face à l'hydre capitaliste" (ezln2015a, 2015b, 2015c).

Pourquoi la corpus Les trois volumes de "El pensamiento crítico frente a la hidra capitalista" (La pensée critique face à l'hydre capitaliste) dans la perspective de la temporalité, du zapatisme, de l'avenir, du dystopisme ?

Parce que le mouvement zapatiste s'est caractérisé, tant dans son développement que dans l'articulation de son imaginaire du futur, par l'utilisation tactique du mots et silences (Velasco, 2003). Le zapatisme a généré un vaste "univers symbolique" qu'il a utilisé comme ressource de lutte par le biais de la performativité communicationnelle. Le discours du zapatisme est un discours polyphonique3 qui peuvent être analysées grâce à la puissance heuristique de l'analyse critique du discours (acd) et révèlent ainsi des tissages complexes de sens et leurs opacités correspondantes dans la confrontation avec leurs pratiques.

Je voudrais souligner la pertinence de l'approche de la acd dans les études sur la temporalité. Selon Ricœur (2004 : 115), en ce qui concerne le temps et le récit, "le temps devient temps humain dans la mesure où il s'articule sur un mode narratif, et le récit atteint sa pleine signification lorsqu'il devient une condition de l'existence temporelle". La notion de récit(s) est comprise comme un processus complexe de médiation entre l'action (ou la préfiguration du discours) et le moment de réception ou de refiguration nécessaire pour rendre compte du processus de construction des pratiques et des imaginaires zapatistes de l'ordre social. Les récits ne sont pas une réplique de l'action, mais la construction (synthétique, sédimentée et "filtrée") d'une intrigue antérieure qui s'articule dans un réseau complexe de possibilités et d'intentionnalités et qui, à son tour, passera par un processus réceptif de (re)configuration. En d'autres termes, le temps devient une temporalité socioculturelle dans la mesure où il est articulé sur un certain mode narratif.

Quatre caractéristiques préliminaires du discours zapatiste sont relevées : a) il s'agit d'un dispositif d'innovation discursive (langage créatif abondant en métaphores et néologismes) et de tradition orale (en tant que caractéristique des peuples indigènes, instrument de résistance et moyen de transmission dans les assemblées, les séminaires, etc. tiqueen tant que plates-formes et moyens de discours ; c) unicité stylistique de la langue et du discours (utilisation de l'ironie, d'artifices littéraires, etc. si Galeano, anciennement si Marcos, qui a été le porte-parole et le chef de file de la ezln d) le caractère polyphonique et ouvert du discours (l'ensemble des voix qui composent le "zapatisme" et qui s'interrogent avant de clore le discours).

L'analyse du discours (Brown et Yule, 1993) permet d'aborder la réalité sociétale sous l'angle du langage et de sa complexité sémiotique, en tant que producteur et produit de sens, en tant que preuve d'une construction idéologique ou en tant qu'expression empirique d'un système théorique à construire.

L'analyse du discours présuppose une forme dynamique d'interpellation des sujets dans le monde et de leurs représentations, où les langues sont davantage des producteurs que des descripteurs du sujet social et des sociétés dans lesquelles il vit et s'organise.

"La pensée critique face à l'hydre capitaliste" (ezln2015a) condense en trois volumes les voix de dirigeants, de porte-parole et de "penseurs" zapatistes ; d'universitaires, de journalistes, d'activistes, d'indigènes, de métis ; d'hommes et de femmes du monde entier qui sympathisent avec et/ou "font partie du zapatisme". Les corpus intègre un ensemble polyphonique de récits sur l'épopée zapatiste, sur sa configuration temporelle, sur ses récits du futur et sur sa méthode : la pensée critique.

Le site acdElle suppose une approche pluridisciplinaire, car elle s'inscrit dans un champ d'études qui a été façonné par d'autres disciplines telles que la linguistique, la pragmatique, l'anthropologie, les études littéraires, la narratologie (un croisement entre la fiction et le factuel), la sémantique, la sociologie, les études sur la communication orale, la philosophie du langage et l'ethnométhodologie (notamment avec l'étude et l'utilisation de techniques telles que l'analyse de la conversation).

Selon Gutiérrez (2004), dans le cadre de l'analyse du discours, le courant de la acd est la plus interdisciplinaire, car elle étudie, entre autres, les interactions idéologiques établies entre les discours, leur situation contextuelle et les institutions ou ordres sociaux dans lesquels ils s'inscrivent. "L'étude par le biais de la acd exigent une connaissance approfondie des structures et des concepts linguistiques, ainsi que des connaissances dans des domaines pertinents tels que la sociologie, l'anthropologie, la philosophie et la psychologie" (Gutiérrez, 2004 : 89).

L'analyse acd est décrit comme un travail analytique qui décompose le texte pour ensuite le recoudre et le recomposer afin de l'interpréter à un niveau herméneutique. En complément, dans le cadre de la pragmatique des languesEn outre, une approche avec des outils ethnographiques a été réalisée lors de congrès et de séminaires organisés par le mouvement zapatiste et dans l'une de ses communautés, appartenant aux escargot4 d'Oventik.

Pour l'approche pragmatique de la langue, nous avons utilisé les techniques de l'observation des participants et conversations dialogiques,5 Ces techniques permettent de comprendre les conditions, les acteurs et le contexte dans lesquels les discours de l'Union européenne ont été tenus. corpusOn peut supposer que cela est important dans la construction discursive du zapatisme, comme on peut le voir 1) dans l'oralité et les récits en tant qu'exercices de construction de la mémoire, 2) en tant que ressource expressive et communicative pour ses actions, et 3) en tant qu'exercice d'imagination politique.

Considérations sur la acd

Le discours a été abordé comme un système complexe de codes et d'unités de signification qui comprend des idéologies, des récits concurrents, des constructions polyphoniques,6 la culture, les contextes et la dynamique de la vie sociale (Manzano, 2005).

Réalisation d'un acd est implicite :

  1. Identifier les éléments entourant le discours qui rendent son contenu, son but et son effet compréhensibles, tels que
    • le contexte historique.
    • le contexte spatio-temporel (diachronique et synchronique).
    • le contexte situationnel interactif.
    • le contexte socioculturel.
    • le contexte cognitif.
    • le thème explicite et implicite (la configuration temporelle dans l'espace de travail). uz7).
    • les acteurs impliqués (qui la génère, pour qui, à propos de quoi et par qui, quelles relations de pouvoir elle décrit et comment elle est insérée)
      en eux).
    • les constructions (quels objets sont générés à partir de ce discours, avec quels objectifs et quelles fonctions).
  2. Il s'agit d'un contenu dense :
    • Idéologie (valeurs, attitudes, vision du monde...).
    • Ressources linguistiques (expressions, métaphores...).
    • Arguments (logique, heuristique, ressources...).
    • Techniques de persuasion utilisées.
    • Propositions d'action implicites et explicites.
    • Stratégies de soutien et de légitimation (données, experts, tradition, réseaux, bases de soutien...).
    • Thèmes et sujets subsidiaires.
    • Moyens et canaux de gestation et de diffusion du discours.
    • Code.
    • Formes et formats du message.
    • Cotexts.
  3. Générer un modèle complet de discours qui prenne en compte la relation entre tous les éléments analysés, leur genèse, leur expression et leurs conséquences.

Le site acd travaille avec le paragraphe, la phrase et l'énoncé comme unités minimales. L'analyse se concentre sur l'identification et la compréhension de la manière dont le texte véhicule des idées et des significations qui façonnent les connaissances et les actions des destinataires de l'information.

Pour analyser un texte, il est nécessaire de fragmenter, de séparer et de classer ses composantes. Ce faisant, il est important de ne pas perdre de vue les relations autour de l'ensemble, ses relations avec le contexte et la dynamique présente ou potentielle de l'intertextualité. La fragmentation du corpus a consisté à élaborer des concepts clés qui ont débouché sur trois thèmes distincts (temporalité [T], dystopies, etc.).8 (D) ; pensée critique (P)) dans le cadre de la corpus et, à partir de là, des unités observables relatives à la configuration temporelle et aux récits du futur.

Les catégories analytiques suivantes sont tirées de ces trois thèmes :

  1. Configuration temporelle zapatiste
  2. L'avenir zapatiste (utopique et dystopique)
  3. La temporalité hégémonique dans le capitalisme contemporain (hydre capitaliste)

Les instruments utilisés :

  1. Analyse structurelle du texte
  2. Journal de terrain
  3. Journal de recherche
  4. Listes de articlesdéclencheurs, points de discussion

Les catégories analytiques ont été "déconstruites" comme suit
observables:

  1. Constructions thématiques
  2. Métaphores
  3. Argumentation discursive
  4. Récits
  5. Agents
  6. Stages
  7. Objectivations (objets et institutions tels que les ordres du jour, les assemblées, etc.)

Utopie et dystopie/utopie et dystopie

Au concept d'utopie de Wallerstein (1998), qui suppose un idéal directeur de la construction sociale dont le fondement est la faisabilité et qui résulte d'un ajustement continu entre le réalisable et le souhaitable, il faut ajouter celui de dystopie et, par opposition, celui de dystopisme : un imaginaire réalisable de l'échec social. Aujourd'hui, un imaginaire rationnellement prospectif d'effondrement social et écologique à l'échelle planétaire, confirmé par des preuves scientifiques et empiriques.

Si nous sommes d'accord avec Wallerstein pour dire que les utopies sont beaucoup plus proches des "rêveries" que des projets susceptibles de devenir réalité, il en va de même pour les dystopies, même si, plus que de "rêveries", nous parlerions d'imaginaires de la peur, de peurs irrationnelles ou de spectres incarnés dans des récits à l'esthétique plus ou moins désastreuse, dramatique ou tragique. Les dystopies, comme leur contrepartie, les utopies, sont un type de récit mythico-religieux, mais qui, à la différence de ce dernier, fonctionne éventuellement comme un avertissement moral, une concrétisation absolue de la punition, ou un "scénario" tropologique.9 de l'échec.

Si la dystopie peut, dans certaines conditions, conduire à une mobilisation politique, on suppose qu'elle le fait davantage en tant qu'avertissement de la part de l'État. pathos que pour des raisons plus rationnelles. Dans la pré-modernité, le discours mythico-religieux revêt généralement le caractère d'un dualisme totalisant et, à partir de là, des oppositions sont établies entre l'origine et le destin désirés ou promis (paradis, éternité, etc.) et la perte (du même paradis, de l'innocence, de la jouissance des biens naturels, etc.) ou le destin redouté (châtiment, enfer, "seconde mort", etc.).

Puisqu'il s'agit d'un type d'imaginaire spectral, de l'époque pré-moderne à aujourd'hui, dans la modernité tardiveLa dystopie s'est révélée extrêmement malléable pour être "concrétisée" dans des récits. ad hoc aux discours hégémoniques comme moyen de contrôle et de paralysie sociale.

La dystopie est une construction narrative qui accueille des idées, des scénarios, des événements et des personnages qui fonctionnent pédagogiquement comme des dispositifs efficaces pour le maintien de l'ordre social. Sa fonction d'avertissement conduit souvent (dans le discours, mais aussi dans la pratique) au maintien de l'ordre par l'État, à l'administration de la violence et à l'examen moral. Bien qu'il semble que leur environnement "naturel" soit celui de la narration fictive comme dans la littérature (Le meilleur des mondes, 1984, Orange mécanique), la dystopie est aussi présente dans les récits oraux, les légendes, les syllogismes populaires, les récits de projets politiques, les perspectives économiques et, surtout, les constructions idéologiques totalisantes.

Mais la Dystopique est une autre affaire ; ce concept est proposé pour désigner une construction narrative articulée sur la base d'une évaluation sérieuse des questions actuelles et historiques. Les Dystopique implique un exercice analytique - et du point de vue du zapatisme : critique - des facteurs qui interviennent dans l'échec d'un système ou d'une construction sociale. Les DystopiqueContrairement à la dystopie, elle peut être véritablement terrifiante, car elle n'est pas du tout un spectre, mais une sorte de "prélude" à une catastrophe qui n'est pas encore complète dans le temps ou dans l'espace, mais dont la proximité spatio-temporelle est attendue de manière imminente.

La Dystopique exige une évaluation sobre, rationnelle et réaliste des systèmes sociaux humains et de leurs limites, ainsi que des possibilités ouvertes de l'ingéniosité et de l'erreur humaines. Les Dystopique ne communique pas le scénario d'un futur inévitable, mais d'un futur de conditions catastrophiques probables ou plausibles (bien qu'incertaines). Contrairement au récit apocalyptique (auquel le discours zapatiste a également recours plus fréquemment), le dystopisme se distancie de l'association "futur-destin" et utilise dans sa structure argumentative des données et des preuves pour soutenir ses affirmations, qui, bien qu'elles fonctionnent comme des avertissements, sont des affirmations dont l'intention est l'action et non l'immobilisation.

La crise en tant qu'élément de la dystopique

La crise est l'un des thèmes de la Dystopique. La crise peut être interprétée temporairement comme un tournant dans une période historique, conséquence d'une forte sédimentation de significations, ou comme une concentration de ruptures éventuelles qui annoncent un craquement ou une rupture plus importante. L'identification - et la déclaration - d'une crise n'est pas simple, car il s'agit d'une opération inhérente à l'identification de la contemporanéité qui nécessite une distanciation afin d'élucider ce qui est proche.

Ce que nous, les peuples, commençons à vivre/souffrir n'a pas de nom connu. Nous passons d'un monde à un autre : d'un monde unipolaire à un monde multipolaire, d'un monde centré sur l'Occident à un monde centré sur l'Orient ; d'un monde capitaliste à un monde post-capitaliste que nous avons encore du mal à visualiser (ezln, 2015c:228).

Le zapatisme établit la crise dans la marque discursive de "Ya basta !" ou "la digna rabia", mais son caractère transitif et incertain l'empêche de se solidifier - pour le meilleur (Utopistique) et pour le pire (Dystopique)- l'avenir. Cette impossibilité ne dispense pas les zapatistes de leur rôle de vigie sur le pôle de la cofa, d'où ils avertissent - et s'avertissent eux-mêmes - du danger de "ne pas voir".

"Sup Galeano dit qu'une catastrophe est à venir. Je ne le crois pas parce que c'est la catastrophe qui nous entoure. Nous la regardons sans nous décourager" (ezln, 2015b : 64). Ici, sous le dispositif rhétorique d'un faux contre-discours, la caractéristique dystopique de la tempête est soulignée.

La fièvre ne viendra pas l'année prochaine, le mois prochain ou bientôt, la fièvre a déjà commencé, la tempête est ici dans les calottes polaires, dans les cellules de notre corps, dans la jungle, au fond de l'océan, dans les nuages, dans le plant de haricots, dans le poulet, dans le champ de maïs (ezln, 2015b : 110).

La tempête devient différentes géographies et aussi une temporalité objectivée, patente, visible. L'humanité connaît une crise de civilisation :

Un processus d'épuisement d'un modèle d'organisation économique, productive et sociale... dérivé d'un système qui aujourd'hui, à une échelle inimaginable dans l'histoire, se maintient et se développe par l'exploitation et la destruction du travail et de la nature et, par conséquent, de la vie (ezln, 2015b : 113).

L'hydre : le capitalisme et la planète en crise ou sur un monstre pour comprendre un imaginaire

Il s'agit d'un moment critique multifactoriel à l'échelle mondiale. La tempête qui fait déjà ses premiers tours de roue est qualifiée dans l'hydre de "systémique globale" et attend l'intervention de l'Union européenne. ezln une réponse scientifique. "C'est pourquoi nous ne demandons pas seulement la définition de la tempête, nous voulons aussi connaître son histoire, son origine, sa trajectoire, ce qui l'alimente" (ezln, 2015a : 288).

Le titre de la corpus fait référence à un monstre mythique : l'hydre. Un monstre à sept têtes dont la force réside dans son excentricité, sa capacité à générer deux têtes chaque fois qu'une est coupée. Dans le mythe, l'hydre de Lerne était un serpent aquatique impitoyable qui, en plus de ses têtes mortelles, avait une haleine empoisonnée qui la rendait encore plus dangereuse. Son étrange capacité de régénération rendait impossible sa mise à mort par un humain ou un demi-dieu.

Mais Héraclès-Yolaos doit faire le travail ou subir la condamnation de toujours recommencer : couper une tête et en faire naître deux autres, déchirer le mur jusqu'à ce que la fissure s'approfondisse et finisse par le blesser mortellement. Et avant d'affronter pour détruire, il faut voir comment survivre, comment résister. Il est donc peut-être utile de s'interroger sur l'origine. A la fois de celui qui affronte et de ce qui est affronté. Il faut donc frapper l'hydre, suivre sa trace, connaître ses voies, ses temps, ses lieux, son histoire, sa généalogie (ezln, 2015a : 282).

La légende raconte qu'en atteignant le marais où se trouvait l'hydre, Hercule se couvrit la bouche et le nez d'un tissu pour se protéger de l'haleine empoisonnée. Hercule tira des flèches de feu pour chasser la bête de son repaire. Il l'affronta, mais en vain. Quand Hercule se rendit compte qu'il ne pouvait pas vaincre seul la bête, il demanda de l'aide à son neveu, qui suggéra de brûler les cous pour empêcher les nouvelles têtes de pousser. Ainsi, sur le principe de l'intelligence distribuée et de l'action coopérative, tandis qu'Hercule coupait chaque tête, le neveu les brûlait une à une jusqu'à la dernière, appelée "l'immortelle", qu'il écrasa avec un gros rocher trouvé en chemin.

En accord avec la narratologie zapatiste, le mythe grec nous dit que la défaite de l'hydre (le capitalisme) est une entreprise qui ne peut être réalisée que de manière 1) collective ; 2) organisée ; 3) stratégique (un plan proposé par le neveu) et 4) tactique (en profitant de ressources et de conditions inattendues, comme le rocher trouvé).

Malgré le langage séculier, il est possible d'identifier une construction mythico-religieuse dans laquelle maléfique s'incarne dans le capitalisme et la mauvaise gouvernance du Mexique. Il semble qu'il y ait des éléments permettant de considérer le voyage zapatiste comme une épopée qui tente de transcender la seule recherche d'une justice matérielle.

La lutte contre l'hydre se poursuit et "a déclenché sa propre tempête". Il est question d'une tempête qui est vécue comme une crise du capitalisme mondial et comme une crise planétaire. Ces crises s'inscrivent dans le cadre de ce qui est décrit comme la iv Guerre mondiale, une nomination qui renomme et re-signifie les coordonnées spatio-temporelles et qui, en se nommant elle-même d'une nouvelle manière, interpelle les affects, les croyances et les positionnements politiques.

Les textes recourent constamment à des néologismes et à l'utilisation de la langue française. renommer comme ressource signifiante pendant la lecture. La position zapatiste "en bas et à gauche" est explicitée, sans que cela signifie le moins du monde "gauche traditionnelle" et sans que "en bas" n'exclue les intellectuels, les universitaires, les scientifiques, les classes moyennes, etc.

Les paraboles10 et fables11 sont largement utilisés. Ces genres narratifs sont reformulés par l'utilisation de fins ouvertes, de questions inconfortables, d'ironie provocatrice ou de mordant vindicatif dans la voix de l'auteur. si Galeano, dont l'utilisation de l'humour, de l'ironie, de l'ambiguïté et de l'émotivité mérite une analyse complète afin de comprendre la structuration discursive de l'œuvre. corpus.

Les textes appellent à l'intégration et à l'organisation des forces politiques au niveau international. Les ezln appelle à l'action (présente) comme seule issue pour faire face à la tempête qui se produit déjà, mais qui fera rage dans la "tempête à venir" (future). L'interpellation de ce futur se fait dès le début des textes avec une référence abondante au passé et aux morts (en prenant leur nom en guise de rappel) qui "continuent à parler" à travers le souvenir de leurs actions.

Le mouvement zapatiste est une "organisation autochtone et non autochtone", selon le rapport de la Commission européenne. si Le discours de Galeano est donc un discours ouvert, "formé dans" et "adressé à" des femmes et des hommes du monde entier.

Dans le cadre de la corpus récapitule également des épisodes importants de la lutte armée zapatiste, parfois racontés sous l'angle de la colère et de la douleur., et parfois avec un sens de l'humour léger. Les récits épiques des "plus petits d'entre eux", des marginaux et des exploités sont articulés et entrecoupés par les difficultés qui - révélées avec humour par la Sup- Il en va de même pour ceux qui, venant de la ville, traversent la jungle pour se retrouver au milieu d'une fusillade.

Le site si Moisés fait appel à la construction d'une mémoire sociale avec un récit significatif des conditions de misère et d'humiliation dans lesquelles les groupes ethniques indigènes du Chiapas ont vécu et comment ils ont été dépossédés de leurs terres, d'abord par les propriétaires terriens, puis avec la réforme de l'article 27 qui a privatisé les ejidos. Ces conditions d'injustice, qui s'étendent sur de longues périodes historiques, rendent compte de 500 ans d'injustice et d'exploitation, en reliant la localité et la proximité historique à un vaste champ spatio-temporel qui, dans l'histoire de l'Union européenne, a été le théâtre d'un grand nombre de conflits. corpus remonte à la colonisation européenne des Amériques.

Les accords de San Andrés Larráinzar sont considérés comme la première trahison de l'Union européenne. mauvaise gouvernance après le soulèvement de 1994. Elle exprime l'échec du dialogue et la retraite zapatiste pour refonder le monde. Un monde où "plusieurs mondes s'emboîtent" et dont l'autonomie s'opère dans un système où "le peuple commande et le gouvernement obéit" par le biais de ce qu'ils appellent les Conseils de bon gouvernement. (jbg). Dans ce contexte, les conditions d'une nouvelle communauté imaginée par le zapatisme, qui se manifeste dans les municipalités autonomes rebelles zapatistes. (marez) et les escargots qui les contiennent.

Ces textes décrivent donc l'utopisme zapatiste, ses réussites et ses échecs, ses difficultés et la manière dont il a résolu les problèmes présentés par la réalité.

Les zapatistes révèlent que leur lutte est également menée à l'intérieur du pays et qu'elle va parfois à l'encontre des mêmes "us et coutumes". Nous pourrions illustrer cette lutte par l'interdiction de "boire" dans les territoires zapatistes, ou par d'autres questions qui traversent le discours zapatiste, comme l'émancipation des femmes.

Le zapatisme recourt à une image suggestive car elle porte implicitement la traversée spatio-temporelle : la fissure dans le mur. Une fissure qui est le signe d'une crise, d'une fissure systémique qui, cependant, ne peut se produire que dans une temporalité large et patiente.12 Les efforts zapatistes se résument à une "détermination à ce que la fissure s'agrandisse, à ce qu'elle ne se referme pas".

L'esprit critique face à l'hydre capitaliste

Afin de voir la fissure, de s'en approcher et de pouvoir l'élargir, la si Galeano présente une approche heuristique appelée "pensée critique".

Le site si Galeano souligne l'urgence de générer une pensée collective afin de garder un œil sur les têtes de l'hydre. La pensée critique s'articule avec le dialogue, avec les questions, et est, selon le zapatisme, un effort collectif.

La iv Guerre mondiale (ezln2015a : 42), disent les Zapatistes, est la guerre menée par les intérêts financiers privés pour contrôler le monde. Le capitalisme est passé du productivisme à la financiarisation, ce qui s'est traduit par la prédominance de la spéculation sur le commerce mondial, le "marché à terme" en tant qu'arène objectivée pour des ressources qui n'existent pas encore, et l'émission de monnaie sans aucune garantie. La fétichisation (marchandisation) et la précarisation de l'avenir jusqu'à l'anéantissement sont deux des conséquences temporaires de cet assaut économique.

L'hydre et la tempête à venir ont une conformité dialectique implicite. Ce sont des crises et un avertissement de rupture ; ce sont des conditions d'injustice et une annonce des luttes et de la résistance pour les surmonter. "Le système va s'effondrer, et de cet effondrement peuvent émerger deux options. Enfin, nous disons qu'il peut y en avoir plus de deux, mais ce n'est pas la question maintenant" (ezln, 2015a : 258). L'affirmation selon laquelle le système s'effondrera s'apparente à la vieille prophétie non réalisée du marxisme. Le problème est qu'il existe déjà des signes indiquant qu'avant que le système ne s'effondre, ce sont les personnes et la planète qui s'effondreront en premier. La dystopie dont le zapatisme se fait l'héraut laisse présager l'effondrement du système capitaliste et la rupture de l'équilibre écologique de la planète, cette dernière devenant de plus en plus une question d'"urgence" et d'"irréversibilité".

L'orage qui s'annonce donne déjà ses "premières gouttes". La dystopie devient dystopique, comme le montrent les problématiques de quatre grands fils narratifs présents dans les textes de la corpus et des études contextuelles : 1) l'augmentation de la précarité et de l'appauvrissement de larges populations dans le monde ; 2) l'accroissement de la violence, de la marginalisation et de la polarisation sociale résultant de l'élargissement des écarts d'inégalité économique et de connaissance ; 3) l'augmentation de l'extractivisme capitaliste sous la forme de la financiarisation ; et 4) l'accélération du déséquilibre écologique de la planète.

Le déséquilibre écosystémique de la planète, énoncé sous la formulation décomplexifiante d'une synecdoque : le réchauffement climatique, implique un type de " réalité " naturalisée, cachée, minimisée ou " désactivée " par sa formulation polarisée, éthiquement et politiquement. La polarisation (manichéisme, exagération ou minimisation) conduit à l'immobilisme de deux manières : 1) l'inefficacité supposée de toute action face à l'énormité du problème ; ou 2) le négationnisme : le problème "n'existe pas" ou est si minime qu'il "ne mérite pas" d'être traité.

Juan Villoro, dans le chapitre intitulé "La durée de l'impatience" (ezln2015a), pose la question de l'époque à laquelle nous appartenons. D'un point de vue géologique, nous sommes dans l'Holocène, mais il existe une désignation vers laquelle Villoro se tourne pour souligner notre responsabilité : l'Anthropocène. (ezln, 2015a : 16). La stratégie discursive de la dénomination, dans ce cas, vise à incorporer une dimension critique à l'époque dans laquelle nous vivons. Holocène est une dénomination neutre par opposition à anthropocène., qui montre comment l'espèce humaine a tellement modifié la biosphère qu'elle est au bord de l'effondrement.

D'autre part, cette ère, dit Villoro, est une ère sans direction et, qui plus est, une ère accélérée. Il la place sous la métaphore d'une locomotive. Il affirme que l'empire de la consommation constitue le corps de l'hydre capitaliste (ezln, 2015a : 17).

Villoro met en avant la métaphore de la locomotive pour représenter le progrès et ses caractéristiques de consommation et d'accélération. La locomotive sans direction (sans construction de sens) est aussi la locomotive dans laquelle "certains voyagent" et d'autres ne font que "voir passer". Il convient ici de s'arrêter pour souligner que, bien qu'il existe des temps qui se fondent dans d'autres, il existe également des temps qui sont des mécanismes d'exclusion. Il y a des temps qui restent "en dehors", en dehors des processus et des dynamiques de la modernité. Le temps en tant que progrès est aussi le "contenant" (en tant que système d'organisation des corrélations de pouvoir) de ceux qui sont dans la locomotive, par volonté.
ou non.

Symbole de modernité et de rapidité, la locomotive rétrécit les territoires en transportant marchandises et messages du nord au sud et d'est en ouest. Les gares sont les points d'arrivée et de référence des centres économiques en plein essor. Les voyageurs voyagent (moins que les marchandises et les services, comme le montre la libéralisation des tarifs, mais aussi le renforcement des obstacles frontaliers à la mobilité des personnes), et les marchandises voyagent, donnant l'illusion d'une disponibilité pérenne, les ruptures de cycles s'amorcent et les coordonnées spatio-temporelles s'effilochent.

Symbole de puissance - au sens de force -, la locomotive avance en affichant une sensation d'invincibilité, alors qu'à l'intérieur "les bas-fonds" du monde ne cessent de pelleter du charbon pour la faire avancer à un rythme constant, épuisant, inhumain. Déshumanisation de certains pour l'excès des élites.

Inégalité, appauvrissement, violence et injustice

La modernité et sa notion de progrès n'appartiennent pas à tous et ne sont pas pour tous, comme le montrent les indices d'appauvrissement et d'inégalité économique :

Oxfam a révélé en 2014 que 85 personnes dans le monde possèdent la même richesse que la moitié de la population mondiale.. En janvier 2015, ce nombre était tombé à 80... Notre pays est plongé dans un cercle vicieux d'inégalités, d'absence de croissance économique et de pauvreté. Quatorzième économie mondiale, il compte 53,3 millions de personnes vivant dans la pauvreté... Ainsi, alors que la PIB par habitant augmente de moins de 1% par an, la fortune des 16 Mexicains les plus riches est multipliée par cinq (500%). ...le Mexique fait partie des 25% pays ayant les niveaux d'inégalité les plus élevés au monde (Esquivel, 2015 : 5).

Comme indiqué dans le corpusLe système néolibéral a déclenché un processus progressif de paupérisation et d'inégalité économique, et une grande partie de ce phénomène s'explique à l'époque contemporaine par une mutation croissante du capitalisme vers la financiarisation : "Le capital financier utilise désormais de l'argent fictif sans aucune garantie. Il exige un profit obtenu par diverses méthodes. L'une d'entre elles est l'appropriation du travail futur, qui est mis en gage auprès des banques" (ezln, 2015a : 322). L'appropriation du futur (travail ou biens qui n'existent pas encore) est la base de la guerre capitaliste actuelle. En ce qui concerne ce futur en danger, les zapatistes avertissent : "Plus de crédit ne signifie pas une vie meilleure, cela signifie mettre en gage l'avenir des générations" (ezln, 2015a : 323). Et ils poursuivent, à propos de ce risque : "Dans cette logique du capital, les nations mettront leurs ressources naturelles en garantie". (ezln, 2015a : 323). L'avenir est annulé, compromis dans les actifs naturels disponibles dans les pays. L'avenir est annulé, compromis dans les atouts naturels dont disposent les pays. si Moisés n'a aucun doute quant à l'avenir : "La situation est mauvaise... Elle va empirer" (ezln, 2015a : 341).

Nous appelons cette nouvelle transformation "l'unification financière du monde" (ezln, 2015b : 30). Une nouvelle caractéristique du capitalisme à l'époque contemporaine. La prédominance du capital financier sur le capital productif a perturbé les cycles de production, les cycles naturels et la montée des crises.

Le capitalisme industriel et extractiviste s'est "financiarisé" en spéculant sur la valeur des ressources naturelles ou des marchandises existantes ou imaginées, présentes ou futures, sans tenir compte du travail ou des connaissances déposées dans la production (quand il y en a). Par une financiarisation croissante, le capitalisme a réalisé l'impensable : il a fait reculer l'avenir pour le transformer et le vendre.

Dans la configuration zapatiste, le temps qui est construit sur la base de la dignité est tout simplement la vie, et la vie est le temps. Il n'est pas rare qu'en abordant des questions telles que la justice du travail, les salaires, l'éducation, etc., nous perdions de vue ce qui est important : l'expérience, l'utilisation et l'administration du temps dans la vie des individus et des sociétés.

"Le non-être social vit dans un état de siège et d'exception, c'est le temps et l'espace des populations qui sont construits dans l'imaginaire comme surplus" (ezln, 2015c : 90). Le "non-être" par opposition au citoyen reconnu par l'État. Des populations importantes sont anéanties ou soumises, traitées comme des déchets dans le système capitaliste. Lorsque la vie des "abajos" du Mexique et du monde - à la manière zapatiste - est traitée avec indignité, voire éradiquée par des stratégies de violence systématisée, un réseau d'injustices s'établit qui divise les citoyens en première classe, deuxième classe et ceux qui sont réduits à la catégorie des déchets. Les pas d'avenir est évidente dans la violence qui non seulement éradique la vie, mais aussi dans l'abus de pouvoir excessif qui s'installe dans la nécropolitique et la terreur comme stratégies d'assujettissement. "Une façon de décrire notre époque : aujourd'hui nous sommes déjà morts, il ne reste plus qu'à nous tuer" (ezln, 2015c : 134).

Le zapatisme a fait de la dignité son enclave, afin de rechercher les conditions de la justice dans la vie des gens. La dignité ne peut pas attendre, et sa demande est immédiatement actualisée dans "Assez, c'est assez". L'avenir recule devant l'immédiateté d'une indignité intolérable. Une rétrotraction différente de celle opérée par la fétichisation capitaliste. Le récit temporel zapatiste s'oppose au récit capitaliste dans le sens où le temps non est l'argent. L'avenir ne fait pas l'objet d'une transaction comme c'est le cas dans les accords de prêt, de dette et d'intérêt dans le système capitaliste et financier.

Le temps de vie ne peut être réduit exclusivement aux heures de travail productif et au temps de loisir (qui devient du temps en tant que prolongement du travail ou du temps consacré à la consommation). En outre, le temps de travail est devenu plus complexe. Il ne s'agit en aucun cas de processus linéaires ou faciles à délimiter. À l'époque contemporaine, la production et l'acquisition d'idées et de connaissances s'inscrivent dans des processus temporels continus et dans un croisement complexe de différents agents, institutions, domaines et capitaux.

"Les travailleurs sont confrontés chaque jour à une exploitation et à une dépossession plus grandes, c'est-à-dire à une pauvreté plus grande. Chaque jour, ils travaillent plus dur et plus longtemps ; aujourd'hui, un travailleur génère son salaire en 7 minutes" (ezln, 2015b : 47). En même temps que l'incorporation des connaissances dans la production augmente, l'exploitation s'accroît dans une inégalité temporelle (le temps d'acquisition des connaissances n'est pas valorisé), ce qui se traduit par une inégalité économique croissante.

L'inégalité des connaissances s'accroît au rythme du développement de la technologie (dont l'accès et les restrictions sont de plus en plus codifiés) et des nouvelles découvertes, car les zapatistes avertissent que "la tempête à venir n'est pas le produit de la barbarie, mais du progrès" (ezln, 2015b : 47). Le progrès s'est appuyé sur l'accumulation inégale des connaissances :

L'inégalité des savoirs est encore plus grande que celle des richesses... [il y a] une montée de l'ignorance et un creusement du fossé entre ceux qui possèdent des savoirs (certains savoirs, comme les savoirs scientifiques) et ceux qui n'en possèdent pas... il est plus probable que globalement l'aristocratie du savoir et l'aristocratie de l'argent se développent en parallèle... Une utopie lugubre, qui ne peut être combattue que par une utopie de l'éducation (Augé, 2015 : 114-115).

Ère de la connaissance ou ère de l'ignorance ? Les deux, si l'on veut jouer à nommer les "époques". D'une part, il est facile de corroborer l'énorme quantité de technologie, de connaissances et de systèmes experts qui sont produits. De plus en plus, ceux qui ont accès à la technologie utilisent de plus en plus de systèmes sans avoir la moindre idée de leurs principes de fonctionnement. Ainsi, paradoxalement, ce qui est connu (désiré et acheté) et ce qui est inconnu (mais manipulé, consommé et jeté) s'accroît, générant une dynamique de dépendance à l'égard des producteurs et des détenteurs de connaissances. Il va sans dire que les récits du futur dans la modernité tardive ont à voir avec une esthétique de l'avenir. technofuture.

Moins de dix sociétés transnationales possèdent des "systèmes de connaissances spécialisées" qui sont utilisés ou consommés par le reste de l'humanité. Ni l'Amérique latine ni le Mexique n'occupent une place importante dans la production de connaissances scientifiques ou de technologies, mesurée respectivement par les publications à comité de lecture ou l'enregistrement de brevets.

Selon De la Peza (2013), au cours des 40 dernières années, l'investissement du gouvernement mexicain dans la production et la génération de science et de technologie s'est élevé en moyenne à environ 0,4% du PIB. PIB. Des pays comme la Suède, le Japon, les États-Unis, la Corée, l'Allemagne et la France investissent entre 2 et 5 % de leur budget respectif dans des projets de recherche et de développement. PIB dans ce domaine.

Dans des pays comme le nôtre, le progrès capitaliste, plutôt qu'une utopie en voie de réalisation, est une sorte de rêve d'un groupe minoritaire, un mythe auquel, malgré son échec, on aspire.

Est-il possible que la durée ait une limite ? Il semblerait que, comme l'Holocène, son écoulement rivalise avec l'éternité. Pourtant, depuis le 1er janvier 1994, on sait que le temps peut être redéfini (ezln, 2015b : 18).

La lutte révolutionnaire des ezlnest fondamentalement une remise en question de l'époque. Un avertissement, une rupture. Le 1er janvier 1994 est une date que le gouvernement mexicain a voulu marquer comme l'entrée du pays dans la modernité, mais qui révèle une autre temporalité, conforme au discours du zapatisme : celle de la rage digne, celle des rebelles qui n'ont pas été pris en compte. Les données révèlent sans ambiguïté ni nuance qu'il y a un retard, une accumulation de violence et un oubli systématiquement administré. La durée a des limites et, comme nous l'avons déjà analysé, le zapatisme affirme que c'est par la conscience et surtout la pensée critique qu'il est possible de repenser la directionnalité du temps. La limite est marquée par le "ça suffit !" zapatiste, mais aussi par l'évidence de l'effondrement écologique mondial imminent.

Avons-nous atteint le point de non-retour (Sartori & Mazzoleni, 2003) en ce qui concerne la surpopulation, le réchauffement climatique, la production de déchets, la pénurie d'eau potable, la pollution des mers, la dégradation des sols et la progression de la désertification ?

"La Terre montre des signes indéniables de stress généralisé. Il y a des limites à ne pas dépasser", déclare le philosophe et environnementaliste Leonardo Boff (2009). Boff cite le cri d'alarme du Secrétaire des Nations Unies unBan-Ki-Moon, qui a prévenu en 2009 que nous n'aurions qu'une dizaine d'années pour éviter une catastrophe écologique planétaire. Boff affirme que nous atteignons déjà "les limites de la planète". Il affirme que plusieurs écosystèmes de la planète atteignent le point de non-retour, faisant référence à la désertification, à la fonte des calottes polaires et de l'Himalaya, et à l'acidité croissante des océans. Boff conclut qu'il n'existe aucune technique ou modèle économique qui garantisse la durabilité du projet actuel. Il affirme que ce que nous vivons déjà est un phénomène de "dépassement et d'effondrement imminent".

Parmi les discours environnementaux contemporains, le discours scientifique prend de plus en plus le biais adjectival d'"apocalyptique scientifique", qui est un discours particulièrement alarmant (qualifié d'alarmiste par les négationnistes), car en plus d'annoncer la fin des temps (avec des expressions telles que la fin d'une époque, de l'espèce humaine, de l'anthropocène, etc.), contrairement au discours mythico-religieux de la pré-modernité, ce discours le fait sur la base de preuves scientifiques et de spéculations rationnelles, ce qui permet de modéliser des systèmes complexes de variables socio-environnementales.), contrairement au discours mythico-religieux de la pré-modernité, ce discours s'appuie sur des preuves scientifiques et des spéculations rationnelles qui permettent de modéliser des systèmes complexes de variables socio-environnementales.

À l'époque contemporaine, le discours scientifique limité à la formulation argumentée 1) de preuves et 2) de rationalité s'est avéré insuffisant pour influencer la prise de décision à grande échelle, en raison du poids du pouvoir financier des grandes entreprises qui ont influencé les actions économiques et politiques des États et des organismes internationaux avec des stratégies telles que la création et le financement d'organisations de défense des droits de l'homme et de la démocratie. groupes de réflexion ad hocla dissimulation d'informations et les pratiques (légales et illégales) de lobbying dans les parlements et les congrès, en particulier dans les pays puissants.

Une autre raison de l'impuissance scientifique pour l'action politique (comprise ici dans l'approche bourdieusienne d'une incapacité à convertir le capital scientifique en capital politique) est un décalage apparent entre le langage statistique, mathématique et spécialisé et la signification - et les motivations - qu'il trouve chez les acteurs sociaux individuels, les collectifs, les institutions et les organisations de la société civile. ngo. Bien que, d'autre part, il soit possible de vérifier récemment un discours scientifique croissant faisant appel à la pathos (affections, sentiments, craintes, motivations) dans la bouche des scientifiques eux-mêmes.

La gestion et la conservation des ressources naturelles est une question complexe qui implique des variables biophysiques, socio-économiques, culturelles et géopolitiques. Dans cette perspective interdisciplinaire (Stiglitz et al2008), à la demande de la Banque mondiale (bm) et les Nations unies (un), le Millénaire Évaluation des écosystèmes (ma), composée de quelque 2 000 scientifiques de 95 pays, a entrepris de répondre à la question de savoir ce qui avait changé dans les "services environnementaux" (notez le récit capitaliste des écosystèmes et des éléments naturels en tant que "services") au cours des 50 dernières années, "comment cela a affecté le bien-être humain" (notez également la perspective anthropocentrique) et la prospective de cette relation.

Le point de départ était une prémisse qui imprègne le positionnement de la bmEn voici un exemple : considérer les ressources naturelles comme des "services écosystémiques", c'est-à-dire comme des avantages que les gens obtiennent et qui constituent ce que l'on appelle le bien-être humain. Ces "services" comprennent la fourniture de nourriture, d'eau, d'énergie, de bois et de fibres ; les services de régulation ; les services culturels qui fournissent des espaces et des paysages récréatifs, esthétiques, "spirituels" et "d'autres avantages" ; et les "services de soutien" tels que la formation des sols et la photosynthèse.

La conceptualisation du " service " (renouvelable et non renouvelable) suppose " un fournisseur " (l'écosystème ou le réseau de ceux-ci), " un utilisateur " (qui a le pouvoir et les ressources pour accéder aux " biens " du fournisseur) et " un prix " d'utilisation ou de consommation qui, selon certaines méthodologies (généralement biaisées, par exemple avec les coûts dérivés, la délocalisation ou la spéculation sur le marché à terme, etc.) se voit attribuer un ou plusieurs types de valeur : monétaire, culturelle, politique, etc.)) se voit attribuer un ou plusieurs types de valeur : monétaire, culturelle, politique... Bien que le positionnement politique, éthique, économique et culturel de l'Union européenne ne soit pas toujours évident, il n'en demeure pas moins qu'il est important de prendre en compte l'ensemble de ces éléments. bm et le un est discutable, l'étude a servi de point de départ à une analyse globale qui a conclu que :

  • 60% des écosystèmes (15 sur 24 analysés) ont été endommagés.
  • Au cours des 50 dernières années, l'environnement s'est dégradé comme jamais auparavant.
  • Les terres ont été agrandies pour un nombre réduit de types de cultures, ce qui a entraîné une perte de biodiversité.
  • Les niveaux de protection sociale ont augmenté, mais les inégalités économiques aussi.
  • Les conséquences de la dégradation de l'environnement frappent le plus durement les plus pauvres, car ils sont "plus directement dépendants de l'environnement".
  • Les extinctions d'espèces sont mille fois plus importantes que celles enregistrées dans l'histoire des fossiles et devraient être multipliées par dix au cours des 50 prochaines années (Stiglitz, "The extinction of species is a thousand times greater than those recorded in fossil history, and is projected to increase by as much than ten times over the next 50 years"). et al., 2008).

L'analyse a révélé que la qualité de l'air, l'accès à l'eau potable, les carburants et la pêche ont diminué, tandis que la production alimentaire et l'aquaculture ont augmenté.

Un autre scénario d'avenir pour les questions socio-environnementales est-il possible ? Faut-il un scénario de rébellion fondé sur une redéfinition ontologique qui reconfigure notre place dans le monde et le monde comme étant plus qu'un fournisseur de services et le lieu que nous habitons ?

La lutte zapatiste comporte une composante environnementale qui est à la fois culturelle, historique et significative. Les zapatistes se définissent comme les "enfants de la terre", et non comme ses possesseurs, ses utilisateurs ou ses bénéficiaires. Ils affirment que leur couleur - la couleur de la peau des peuples originels - est "la couleur de la terre" et que "la terre est la vie". Une vie qui n'est pas transmise par un "fournisseur ou un prestataire de services", mais par "une mère qui nourrit ses enfants".

Au congrès zapatiste ConSciences il a été répété que "personne n'a le droit de laisser une empreinte polluante plus longue que sa vie", c'est-à-dire qu'une formule temporelle de base concernant notre impact sur l'environnement a été avancée. La terre et nos vies impliquent une équation en "ciseaux temporels", comme le dirait Blumenberg (2007), c'est-à-dire que notre chronologie individuelle est petite et très limitée par rapport à la planète ; vouloir ajuster les rythmes de la nature et de l'histoire au compte d'une vie individuelle est une folie, une absurdité qui se produit néanmoins lorsque nous utilisons des ressources futures et laissons un impact environnemental de plusieurs centaines d'années.

Dans les cultures des peuples indigènes mésoaméricains et dans le zapatisme, la terre est considérée comme une mère, dépositaire de l'histoire et de la mémoire ; elle est un sujet de droit (des sanctions sont prévues si elle est attaquée) et son sens de la propriété est totalement différent de la propriété privée capitaliste. "Et au-delà, la terre reçoit des coups féroces, féroces et déjà irrémédiables. Blessée, la première mère titube, fragile, impuissante, vulnérable" (ezln, 2015a : 232). Les dommages irréparables causés à l'écosystème mondial sont visibles, et pourtant, d'après les statistiques, les processus de déprédation se poursuivent et s'intensifient. La terre est exposée ici comme une victime, comme un être sans défense, comme une entité violée par nous et le système capitaliste.

Pour le zapatisme, la terre est habitée, vécue, respectée et nourrie, mais elle est aussi restituée et compensée. Le séjour sur la terre est "temporaire" et les droits d'héritage sur l'habitation et l'utilisation de la terre sont strictement réglementés et sujets à révision.

La terre (la nature ou l'environnement), du point de vue du zapatisme, a une forte composante culturelle, car en plus d'être le territoire et le lieu où se tissent les réseaux de sens, elle est le lieu où les morts "reposent" - mais aussi vivent et continuent d'agir (patrimoine, mémoire et héritage historique) et où la vie germe comme "nourriture, lutte et dignité (la dignité germe là où historiquement les plus pauvres et les peuples originaires ont été niés par les pouvoirs hégémoniques)".

Du point de vue des peuples indigènes et du zapatisme, la terre est un être vivant et complexe qui possède également une dignité, et est donc soumise à des droits qui sont évidents dans les règles et règlements institués et en vigueur dans les communautés autonomes zapatistes (Fernández, 2014). Par exemple, il est établi qu'"il n'est pas permis de chasser un animal si ce n'est pas pour se nourrir" et qu'"il n'est permis d'abattre un arbre que s'il doit être utilisé pour un besoin domestique et non pour la vente. S'il est abattu pour un besoin justifié, il faut en planter deux " (Fernández, 2014 : 465). Ces petits exemples sont des vestiges culturels qui s'opposent à la conceptualisation de la nature comme un système de "ressources" qui peuvent être récoltées et gérées sur la base de la monétarisation ou de la valeur d'usage.

La dignité est proposée par le zapatisme - mais aussi par d'autres groupes altermondialistes - comme un processus de désobjectivation (décostification) de l'être humain, c'est-à-dire d'émancipation de la configuration ontologique qui le réduit à une machine à produire et à acheter, que la logique productiviste et consumériste du capitalisme a transformée en lui.

"Il s'agit probablement de la dernière occasion historique de libérer la planète Terre de la barbarie et de la mort" (ezln, 2015c : 342). Selon le zapatisme, nous nous trouvons à un moment critique sans précédent dans l'histoire.

Conclusions

La configuration temporelle zapatiste s'articule comme un ensemble hybride (construction et substrat de différentes temporalités historiques et culturelles), complexe et émergent (nouveau, en construction, incertain, inachevé) de représentations, de pratiques et de significations de l'organisation sociale, dont le fondement est, selon leur discours, la dignité humaine et la dignité de la Terre (la planète).

Basé sur une réinterprétation historique, le zapatisme ramène le futur à la pratique actuelle de vivre sans délai ses aspirations et ses valeurs sociales synthétisées dans la dignité. Le scénario idéal zapatiste pour l'organisation des relations sociales, en cours de construction, devient réalisable par des ajustements tactiques, rendant possible la réalisation d'un imaginaire d'inclusion, d'équité, de justice et de liberté. Ce processus tactique a été appelé, conformément au concept mis en avant par Wallerstein, Utopistique.

A partir d'une structure argumentative dialectique et critique appelée pensée critique, l'utopisme zapatiste propose une esthétique temporelle (en tant qu'agencement du monde) et un récit du futur opposés au scénario proposé dans les pratiques et les récits de la temporalité capitaliste hégémonique, inscrits dans les allégories de l'hydre et de la tempête à venir, allégories synthétisées dans le concept proposé ici en tant que Dystopique.

La configuration temporelle zapatiste et ses récits du futur (Utopistique et Dystopique) font partie d'une esthétique présentée ici comme l'ensemble des expressions formelles qui communiquent leur arrangement particulier du monde passé, présent et futur. Dans le corpus Analysé à partir d'un discours polyphonique, pas toujours cohérent et même contradictoire, le discours zapatiste rassemble différentes voix qui montrent sa pluralité et un certain type d'unité qui n'est pas univoque, mais qui est représentatif des visions et des actions qui le composent.

Le dystopisme est une construction narrative articulée sur la base d'une évaluation sérieuse des problèmes actuels et historiques qui implique un exercice analytique et critique des facteurs impliqués dans l'échec d'un système ou d'une construction sociale. Dans le zapatisme, il est décrit comme un imaginaire d'effondrement rationnellement prospectif qui est confirmé par des preuves scientifiques et empiriques au point de devenir une annulation de l'avenir.

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Carlos Octavio Núñez Miramontes Doctorat en sciences sociales (iteso) ; Master en gestion et développement de la culture (UdeG) et Baccalauréat en sciences de la communication (iteso). Boursière de la Conacyt (2015-2019). Diplôme en journalisme ; diplôme en photographie publicitaire ; études sur l'analyse critique du discours ; études spécialisées sur le temps en tant que construction sociale ; épistémologie génétique et construction d'objets d'étude ; séminaire sur la dialectique matérialiste de Marx dans le cadre du programme d'études de l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Le capitalObservateur des droits de l'homme pour l'Institut Frayba au Chiapas. orcid: 0000-0003-4097-6828

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